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et magnifiques cavernes de la Carniole, d’Antiparos, du Kentucky ; la nature ne percera jamais un tunnel régulier et direct comme celui du Mont-Cenis. Sans multiplier ces exemples, il est permis de conclure que, pour les résultats relevant essentiellement de la mécanique, la nature et l’homme ont leur champ propre où chacun d’eux règne à peu près en maître. Il en est de même partout. Nos laboratoires produisent et l’industrie utilise une foule de composés chimiques qui n’existent pas, qui ne peuvent pas exister dans la nature, pas plus que celle-ci ne saurait isoler et conserver bien des corps aujourd’hui d’un emploi journalier.

Même dans le monde inorganique, le pouvoir de la nature est limité par l’essence et le mode d’action des forces qu’elle met en jeu. Celles-ci agissent sans cesse, toutes à la fois, luttant ou s’entr’aidant sous l’empire de lois également aveugles et immuables. Tout effet naturel est le produit d’une résultante. L’homme ne transforme ni les forces ni les lois qui les gouvernent ; mais son intelligente volonté en modifie l’application. Par cela même, il fait varier la résultante et par conséquent les effets. Souvent il se borne à diriger les forces naturelles, à remplacer par la régularité ce que nous appelons le hasard, mot qui sert seulement à voiler l’ignorance. Souvent aussi il les oppose les unes aux autres, neutralise celles qui lui nuisent, active celles qu’il juge utiles, et réalise ainsi des résultats incompatibles avec le jeu libre de ces agens. Voilà comment les fulminates, inconnus dans la nature, prennent naissance dans nos appareils pour aller ensuite amorcer le fusil du soldat ou le jouet d’un enfant ; voilà comment le phosphore, dégagé de ses combinaisons, se conserve indéfiniment dans un flacon de pétrole, et, associé à un autre corps, tout artificiel aussi, forme la base de nos allumettes chimiques. Accordez à la nature autant de siècles qu’il vous plaira, mettez en jeu toutes ses puissances, tant que l’atmosphère contiendra de l’oxygène, de l’acide carbonique, de l’eau, elle pourra amonceler des couches entières de sel ; elle n’arrivera point à isoler le sodium que possèdent tous nos laboratoires et que M. Henri Deville a fait entrer dans l’industrie ; elle ne pourra pas seulement fabriquer la soude caustique.

Eh bien ! quand il cultive une plante, quand il domestique un animal, que fait l’homme ? Avant tout, et qu’il en ait ou non l’intention, il adoucit pour eux dans une proportion plus ou moins considérable la lutte pour l’existence, c’est-à-dire qu’il atténue ou annihile une foule d’actions qu’eussent exercées les forces naturelles. Quand il choisit les végétaux porte-graines, les pères et mères destinés à entretenir la population de son colombier, de sa basse-cour, de sa bergerie, que fait-il, sinon reporter sur un caractère qui lui