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nouvel incident, amené, comme le précédent, par le fanatisme japonais, vint frapper tous les esprits d’une douloureuse impression.

Le 8 mars 1868, la chaloupe à vapeur de la corvette de guerre française le Dupleix stationnait le long du quai de la ville de Sakkaï, vis-à-vis de Hiogo, où elle attendait le ministre de France, qui revenait par terre d’Osaka afin de s’embarquer. Quelques-uns des hommes de l’équipage se promenaient à quelques pas de l’embarcation, au milieu d’une population assez nombreuse, mais calme et même bienveillante. À un moment donné, une troupe de soldats japonais déboucha sur le quai, et, sans provocation, fit feu sur ces matelots. À la première décharge, dix hommes et un aspirant tombaient mortellement frappés ; les cinq survivans, blessés et se soutenant à peine, profitèrent d’un moment où les meurtriers couraient chercher des engins pour détruire la chaloupe, remirent celle-ci à flot, et parvinrent à gagner le large, où une autre embarcation leur porta secours. À bord des navires français, le premier sentiment parmi les états-majors et les équipages, à la vue des survivans de cette agression odieuse, avait été de prendre les armes, et de tirer des meurtriers une vengeance immédiate. Les commandans surent réprimer cet élan généreux : une pareille opération en effet ne pouvait relever l’honneur du pavillon qu’à la condition d’être couronnée d’un succès décisif ; elle pouvait, en déterminant un conflit au milieu d’une ville, sacrifier une population innocente et laisser les coupables impunis. Ils se concertèrent avec le ministre de France, accouru d’Osaka. On avait appris que les assassins appartenaient à des troupes du prince de Tosa, de passage à Sakkaï. Une immédiate et complète réparation fut demandée par les autorités françaises, et les ministres étrangers s’associèrent à la démarche. La réponse ne se fit pas attendre ; les daïmios, vivement contrariés de l’incident qui compromettait ainsi leur cause à ses débuts, convinrent d’accorder immédiatement satisfaction. Le prince de Tosa et de hauts fonctionnaires vinrent en personne à Hiogo présenter leurs excuses. Ils apprirent que vingt et un officiers et soldats avaient été, après enquête, reconnus coupables d’avoir commis l’attentat ; ils étaient condamnés à mort par le mikado, tout en étant admis, en raison de leur rang, à s’ouvrir le ventre ; l’exécution se ferait devant les autorités françaises. Elle eut lieu le 13 mars, avec les mêmes formalités que celle du chef de Bizen, dans un temple de Sakkaï. L’un après l’autre, dans l’ordre de préséance, les condamnés vinrent s’asseoir devant les officiers délégués et subir le dernier supplice. La tête du onzième venait de tomber, et l’exécution, avec le cérémonial qu’elle entraîne, durait déjà depuis plusieurs heures, lorsque le commandant du Dupleix, présent avec un détachement de nos troupes, la fit suspendre en déclarant