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économiques. De toutes parts, on se jette avec un entrain inouï dans les affaires industrielles. Les sociétés naissent en foule : qu’il s’agisse de banques, d’usines, de chemins de fer, les capitaux accourent, les souscriptions d’actions sont couvertes au décuple. Il semble qu’on ait hâte de réparer le temps perdu pour mettre en valeur les richesses dont la nature a comblé l’empire. Tel qui ne cessait de faire retentir les plaintes des nationalités opprimées ne parle plus que des bienfaits des voies ferrées et demande des concessions. Si le gouvernement autrichien a la sagesse de rester fidèle à la politique de paix qu’il suit avec fermeté et habileté depuis deux ans, ce remarquable mouvement de progrès matériel continuera malgré la crise momentanée qui suivra probablement les excès des spéculations actuelles, A mesure que le bien-être se répandra, que les relations des différentes provinces et des races diverses deviendront plus fréquentes, plus intimes, plus fructueuses, les vieilles préventions s’effaceront, les rancunes séculaires disparaîtront. Allemands, Hongrois, Croates, Tchèques, Polonais, Roumains, comprendront qu’ils ont mieux à faire qu’à s’opprimer, se haïr et s’exterminer, qu’ils ont un même intérêt, jouir en paix d’institutions libres assurant protection égale aux droits et aux intérêts de tous. L’Autriche, enrichie, éclairée, affranchie, de ses dissensions intérieures, appuyée sur l’amour de tous les citoyens pour la commune patrie, pourra désarmer, et devenir alors une grande Suisse danubienne, dont l’intervention conciliatrice sera aussi utile à l’Orient qu’à l’Occident.

Malheureusement les résistances que l’église catholique oppose à l’application des réformes réclamées par la civilisation ne cesseront pas en même temps que celles des nationalités, La même cause qui assoupit celles-ci enflamme celles-là. La diffusion du bien-être et de l’instruction, qui réconcilie les races, aggrave le différend entre l’église et la société laïque, car elle porte les peuples à pratiquer de plus en plus toutes les libertés que Rome condamne. C’est là un très grand mal ; mais il ne semble pas qu’aucune nation catholique y puisse échapper. Cette hostilité entre le catholicisme et la société moderne frappe aujourd’hui tous les yeux/ M. de Broglie la signalait récemment ici même[1], et s’efforçait d’en découvrir la cause. Il y a peu de jours, un prédicateur en renom, du haut de la chaire de Notre-Dame, en indiquait parfaitement les étonnans

  1. Voyez, dans le numéro du 1er février dernier, le Christianisme et la société française, par M. Albert de Broglie.