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D’une manière absolue, le succès de 1859 était donc fort peu de chose ; mais il eut pour effet d’enflammer les espérances et de donner à l’entreprise un rapide essor. Le jour même de la découverte et avant que l’annonce s’en fût répandue au dehors, les associés achetèrent, d’un seul coup, dans le voisinage du territoire qu’ils possédaient déjà, de nouveaux terrains pour la somme de 1 million de francs. Un mois plus tard, les spéculateurs s’abattaient sur Oil-Creek, la propriété des pionniers décuplait de valeur. Aussitôt de nombreuses compagnies de pétrole furent fondées sur le modèle de la première, à New-York et au Canada, à Philadelphie, Boston, Chicago, Cincinnati, Saint-Louis, San-Francisco ; l’on se mit à chercher partout la substance magique. Cependant, pour fonder une véritable industrie, il fallait rencontrer des veines plus puissantes et surtout les trouver en grand nombre. Celle-ci avait été découverte dans une première assise de grès au-dessous de laquelle on se heurtait à une couche de schistes stériles : combien se seraient arrêtés là ! Soutenus par l’énergie sombre qui leur avait fait prendre pour devise : oil, hell or China ! l’huile, l’enfer ou les antipodes ! les chercheurs pensylvaniens percèrent encore ces schistes. Au-dessous, à 100 mètres environ de la surface, ils rencontrèrent d’abondantes veines de pétrole emprisonnées dans une assise de grès reposant, comme la première, sur des schistes dépourvus d’huile. Les pionniers d’Oil-Creek enfoncèrent vaillamment leurs sondes à travers la seconde couche stérile : à 200 mètres de profondeur, dans la troisième assise de la même formation de grès oléifère, les outils crevèrent des poches énormes remplies de gaz inflammable, de pétrole et d’eau salée. Sans avoir besoin du secours des pompes, qui avaient été jusqu’alors indispensables, on vit des fleuves d’huile déborder hors des réservoirs et couler dans les ravins.

La spéculation prit alors un caractère sauvage. Au plus fort de la guerre de la sécession, la fièvre de l’huile était à son paroxysme. On comptait à New-York seulement 317 compagnies de pétrole, représentant un capital effectif de plus de 1 milliard de francs. Pour un joueur heureux, cent peut-être ont été ruinés ; mais ces ruines, aux États-Unis, n’ont pas le caractère qu’elles auraient en Europe : les intéressés, sachant bien que des voies nouvelles s’ouvriront à eux un jour ou l’autre pour tenter encore la fortune, n’y voient qu’un incident passager, l’une des péripéties du grand combat pour l’existence. Au prix de désastres individuels bientôt réparés, l’Amérique a pu ajouter à ses élémens d’activité, déjà si nombreux, une source de richesse qui ne le cède en importance qu’aux grains et aux cotons ; le tabac, les viandes salées, les produits de la pêche, les