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d’éclairage en distillant ce minerai. Il y avait d’ailleurs non loin de là et le long de Bear-Creek de nombreuses petites sources de pétrole liquide bien connues des Indiens et des anciens colons français. Nul doute que cet amas de bitume ne fût le résultat de l’évaporation de sources analogues pendant la suite des siècles, et qu’en pratiquant plusieurs sondages en cet endroit l’on ne parvînt à atteindre les réservoirs inférieurs qui l’avaient engendré. L’événement justifia cette opinion. Vers la fin de 1860, on avait creusé une centaine d’excavations dont la plus profonde n’atteignait pas 40 mètres, et qui avaient cependant fourni plusieurs milliers de barils d’huile expédiés aux raffineries de Hamilton et de Boston. Un jour, d’une profondeur de 67 mètres, le pétrole déborda spontanément sur la terre, chassé par la pression intérieure des gaz. L’heureux possesseur de ce trésor inattendu venait d’épuiser ses dernières ressources, et s’abandonnait au désespoir la veille du jour où il touchait à la fortune. La même scène se produisit bien des fois dans les diverses régions d’huile, et partout le voyageur la recueille avec des variantes. En Pensylvanie, où l’excitation fut la plus intense, on voit des photographies représentant l’un de ces princes du lendemain assis sur un baril vide et les coudes sur les genoux, s’arrachant les cheveux ; puis l’on vous apprend que ce malheureux déguenillé vendit au prix de 200,000 dollars, argent comptant, un spouter[1] survenu inopinément pendant la nuit.

Les premières recherches des hommes d’huile dans le haut de la vallée de Bear-Creek ne furent pas couronnées de succès ; elles étaient conduites par une société de Boston, qui dès 1862 avait foré deux ou trois puits ; on était arrivé à 120 mètres de profondeur sans rencontrer autre chose que des effluves de gaz inflammable et à peine quelques barils d’huile. On suspendit les travaux. En 1865, un hiver exceptionnel et des inondations désastreuses arrêtèrent la production d’Oil-Creek. On crut partout à un épuisement définitif des veines d’huile. Cette, opinion eut même en France un fâcheux contre-coup : l’industrie des schistes, rudement éprouvée pendant les années précédentes par les découvertes d’outre-mer, renouvela son vieil outillage et construisit des usines dispendieuses, persuadée qu’elle en avait fini pour toujours avec la concurrence américaine. Moins d’une année après, les choses changeaient complètement de face : les hauts prix atteints par le pétrole avaient rallumé la fièvre de l’huile en Amérique, et la production de puits nouveaux en nombre immense ramenait promptement la baisse des prix. C’est cette crise qui a véritablement fondé Petrolia : en 1865, un grand

  1. Ce mot est d’invention américaine. Spoul signifie jet. La traduction littérale est donc jaillisseur.