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notre grand âge nous rappelle chaque jour d’une façon plus frappante le compte rigoureux que nous sommes sur le point de rendre à Dieu de nos effrayans devoirs. Avec toute l’effusion de notre cœur, nous prions le Seigneur de répandre sur votre majesté l’abondance de ses bénédictions[1]… »


Quelle allait être la réponse de Napoléon à cette douce supplique du saint-père ? Il la dicta lui-même à son ministre des cultes. C’étaient des reproches, des récriminations et des menaces que l’empereur renvoyait à Pie VII en retour de ses avances et de ses bénédictions.


« Sa majesté n’a pas jugé convenable de répondre à la lettre du pape, dont je vous envoie copie. Je vous avouerai confidentiellement qu’elle a beaucoup de regret d’avoir dans les temps antérieurs suivi une marche différente, et de s’être laissé induire à une correspondance directe avec le saint-père. En effet, toutes les correspondances que sa majesté est dans le cas d’avoir avec les têtes couronnées ne sont que de courtoisie et d’aménité. Des lettres de discussion, de reproches, ne sont point dignes du haut rang où elle est placée. L’empereur écrira au pape quand il aura des complimens à lui faire ; mais, pour des choses pénibles à entendre, il préfère que ce soit par la voie ministérielle. Il est à regretter que le pape n’ait pas suivi la même méthode, au lieu d’adresser directement à sa majesté une lettre qu’il savait ne pouvoir être aucunement satisfaisante… Le pape demande la communication avec les fidèles ; mais cette communication, comment l’a-t-il perdue ? Il l’a perdue par la violation de tous ses devoirs de paix et de charité. Il a maudit l’empereur et l’autorité civile par une bulle d’excommunication dont l’original a été saisi à Rome. Est-ce pour maudire les souverains que Jésus-Christ s’est mis en croix ? Est-ce là le principe du souverain rédempteur ? Cependant la condescendance de l’empereur a été au point de se borner au dédain d’une excommunication ridicule par son impuissance, quoique criminelle par son intention, il a laissé le pape à Savone maître de communiquer, avec les fidèles. Quel usage a-t-il fait de son ministère ? Il a envoyé des brefs pour soulever les chapitres, brefs aussi remarquables par l’ignorance des canons et des principes que par leur caractère de malveillance… Il sait qu’un millier de prêtres, gens d’ailleurs simples et bons, sont fanatisés par l’idée d’obéissance qu’ils croient lui devoir ; a-t-il fait quelque démarche, a-t-il témoigné quelque intention de cesser de s’opposer à ce qu’ils rendent ce qu’ils doivent à leur souverain ? A-t-il, par amour de la vérité, par amour de la religion, par amour de l’humanité, cherché à les arracher à une position aussi pénible ? Non ! rien n’a été fait ni proposé de sa part qui tendît à ce but. Il n’y a donc

  1. Lettre autographe de sa sainteté Pie VII à l’empereur Napoléon Ier, 24 janvier 1812.