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La lettre qu’on vient de lire était datée du jour même où Napoléon, après avoir écrit au prince Kourakine pour se plaindre du colonel Czernitchef, aide-de-camp de l’empereur Alexandre, qui avait corrompu l’un des employés des bureaux de la guerre afin de se procurer les plans de la prochaine campagne de Russie, venait d’envoyer au major-général, le prince de Neufchâtel et de Wagram, les numéros d’ordre des huit corps d’armée qui allaient bientôt s’ébranler pour marcher sous ses ordres vers les bords du Niémen. On ne saurait en vérité s’étonner beaucoup si, absorbé par les innombrables préparatifs de sa gigantesque expédition, l’empereur a pendant longtemps donné beaucoup moins de son attention aux affaires de l’église qu’à celles de la guerre. Qui donc pourrait trouver étrange de rencontrer à cette époque dans sa correspondance beaucoup plus de lettres adressées au maréchal Berthier, au duc de Feltre, à M. de Cessac, ses lieutenans militaires, qu’au comte Bigot de Préameneu, son ministre des cultes ? Un rapprochement bizarre nous a frappé toutefois en parcourant cette curieuse et instructive correspondance de Napoléon Ier, qui a servi d’appui principal, nous devrions presque dire de base unique à notre travail. Depuis que la guerre qui doit mettre un terme fatal à sa puissance est définitivement arrêtée dans son esprit, deux fois seulement, et à quelques mois d’intervalle, le potentat qui s’intitulait alors le protecteur de l’église consent à se distraire de ses occupations favorites pour s’occuper des choses de la religion. Nous venons de citer le texte même de la première de ces lettres. Elle avait pour but de frapper au plus humble degré de l’échelle ces admirables servantes de Dieu, des malades et des pauvres qui jouissent partout en France, même auprès des personnes qui ne partagent pas leur croyance, d’un renom si populaire. La seconde visait plus haut, aussi haut qu’il était possible d’atteindre, et frappait directement la personne même du souverain pontife. C’est de Dresde qu’elle fut écrite.

A Dresde, Napoléon, entouré de tous les petits princes de l’Allemagne, salué au passage par son beau-père l’empereur d’Autriche, plus que jamais enivré par le prodigieux éclat de sa toute-puissance, laissa un instant tomber sa pensée sur le détenu de Savone. Qu’allait-il faire pendant sa longue absence de cet embarrassant prisonnier ? Fallait-il le laisser végéter dans une petite ville du littoral de la Méditerranée ? fallait-il le faire venir à Paris ? Il s’arrêta à ce dernier parti ; mais, avant de nous efforcer de pénétrer les motifs de sa détermination, commençons par donner la lettre que le prince Borghèse, gouverneur-général des départemens au-delà des Alpes, reçut alors de son impérial beau-frère.

« Je suis à Dresde depuis deux jours avec l’impératrice, avec