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attaqué plusieurs fois les comptoirs de la compagnie russe, à laquelle cependant ils vendaient d’habitude leurs fourrures et les produits de leur chasse. Les Européens, dès qu’ils se montrèrent sur le littoral, eurent des querelles avec ces sauvages, qui déjà étaient armés de fusils, vendus sans doute par les tribus de l’est en relation avec la compagnie de la baie d’Hudson. Il est assez remarquable que les Kolosch méprisent la nourriture végétale, et ne vivent que de poisson ou de la chair des animaux sauvages. Les Kenayens, qui résident au nord du mont Elias, sont plus pacifiques. Les Russes les soumirent et en baptisèrent même un grand nombre ; mais ils n’en sont pas plus civilisés ni plus disposés à renoncer à leurs habitudes sauvages. Ils ont une bonne qualité, c’est d’aimer le commerce ; ils trafiquent avec les baleiniers qui fréquentent les baies de la côte, avec les marchands de pelleteries, avec leurs congénères de la Sibérie orientale, et, comme conséquence naturelle de cette passion pour les échanges, ils ne demandent qu’à rester en paix avec leurs voisins. Au nord du grand fleuve, le Youkon, on ne rencontre plus que des tribus nomades d’Esquimaux, maîtres incontestés des solitudes qui s’étendent jusqu’à la Mer-Glaciale. C’est la portion de l’Amérique russe que les blancs connaissent le moins ; pour mieux dire, ils ne la connaissent pas du tout, n’y ayant jamais pénétré. A la taille près, les Esquimaux de cette région ont une ressemblance frappante avec ceux du Groenland. Aussi a-t-on émis l’opinion que toutes ces tribus sont de la même famille et originaires de l’Asie septentrionale. A l’époque où Tchengis-khan et d’autres chefs tartares de moindre renom bouleversaient l’Asie centrale par leurs conquêtes, les tribus indigènes de la Sibérie auraient franchi le détroit de Behring ; puis elles se seraient avancées peu à peu vers l’est, et se seraient répandues sur les côtes désertes de la Mer-Glaciale, depuis la presqu’île d’Aliaska jusqu’au Groenland. Si les Esquimaux les plus voisins de l’Europe sont aujourd’hui de petite taille, ce n’est qu’un phénomène de dégénérescence physique assez facile à comprendre eu égard à l’abominable climat sous lequel ils végètent.

Les Aléoutiens ne sortent pas peut-être d’une autre souche que les tribus dont il vient d’être question ; mais, soumis d’une façon plus directe à l’influence des Russes, ils ont pris des habitudes presque civilisées. Souvent visités par les missionnaires, ils se sont convertis à la religion grecque, au moins en apparence ; ils parlent le russe, beaucoup d’entre eux savent même lire et écrire. On compte dans ces îles un assez grand nombre de créoles qui sont issus de pères européens et de femmes du pays. Ces créoles conservent de leur origine sauvage un penchant marqué à la vie errante et à l’indolence ; ils sont pourtant supérieurs aux indigènes