Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/1026

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indemnité pécuniaire. Elle conserverait en outre un vingtième des terres propres à la culture et la licence de continuer le commerce des pelleteries, sans être assujettie à aucune taxe. Il paraît probable que cet arrangement équitable sera accepté par le parlement canadien aussi, bien que par les actionnaires de la compagnie. Lorsqu’il aura reçu force de loi, la dernière des compagnies féodales auxquelles la Grande-Bretagne avait confié jadis toutes ses colonies aura cessé d’exister, et, si la Colombie britannique se joint à son tour, comme il est permis de l’espérer, à la jeune confédération du Canada, toutes les provinces anglaises de l’Amérique du Nord se trouveront soumises au même régime, conduites vers une destinée commune par un seul parlement.

Cette union prochaine ou du moins probable des provinces anglaises en une confédération préviendra-t-elle tout conflit entre les sujets de la Grande-Bretagne et les citoyens de l’Union ? À ce propos, nous n’entendons point parler des causes éventuelles de mésintelligence qui menacent de surgir entre les deux peuples, soit que les Anglais se plaignent de l’accueil fait aux mécontens irlandais, soit que les Américains gardent rancune à leurs cousins d’Europe des ravages exercés par les corsaires du sud pendant la rébellion. Ce sont là des accidens de politique internationale auxquels nulle nation civilisée ne peut échapper. Restons en pays sauvage. Contentons-nous d’examiner l’influence lente, mais régulière et persistante, que les deux peuples exercent, chacun de son côté, sur les terrains vagues qui les séparent, et qu’ils sont appelés à coloniser. On ne doit pas perdre de vue que la colonisation agit en Amérique avec une vigueur, une puissance, une intensité dont l’histoire de l’Europe ne présente aucun exemple. Le plus souvent les pays que l’on s’y dispute ne sont rien aujourd’hui qu’une surface déserte ; mais ils seront des états dans dix ou vingt ans. Or il y a entre les procédés de colonisation qu’emploient les Américains et ceux dont les Anglais font usage une différence caractéristique.

L’Américain colonise en homme libre. Il s’établit là où il le juge convenable, exploite les mines ou défriche le sol sans en demander la permission à personne. Il expulse les indigènes à coups de fusil, sans souci des droits antérieurs qu’ils peuvent avoir. Les Américains arrivent-ils en grand nombre en un même point, — c’est ce que l’on voit surtout sur les terrains aurifères, — ils improvisent une petite société qui n’a d’autre règle que la justice sommaire de la loi de Lynch. Ils ont l’air d’être encore abandonnés à eux-mêmes ; déjà le gouvernement fédéral pense à eux. Celui-ci n’oublie pas que toute ville qui se crée est une richesse de plus pour l’Union. Il laisse volontiers aux fondateurs d’une nouvelle colonie le soin d’y