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qui l’empêcherait de penser librement. Ce qui est certain, c’est que dans cette correspondance il apparaît sous la forme d’un mari plutôt timide qu’impérieux avec sa femme, plein d’égards et d’attentions pour elle. Il désirerait par exemple voir inoculer sa fille aînée ; la duchesse s’y refuse d’abord, et Mme de Rochefort écrit à ce sujet : « Le pauvre M. de Nivernois raisonne, gémit, le tout inutilement. » Cependant le désir du duc finit par être exaucé, et il recommande au marquis de Mirabeau de ne pas manquer d’écrire à cette occasion à la duchesse une lettre « tendre et amicale. » Le marquis a devancé le vœu de son ami : il a écrit de lui-même une lettre très affectueuse, mais où il raille un peu les scrupules religieux qui avaient contribué à faire ajourner l’opération. Il est inquiet de l’effet que produira sa lettre, et pour être rassuré, il s’adresse à Mme de Rochefort, qui le tranquillise en lui disant qu’on a trouvé sa lettre un peu « follette, » que cependant elle a réussi. En un mot, dans ces rapports de la femme, du mari et de l’amie, soit entre eux, soit avec les étrangers, il semble que c’est Mme de Rochefort qui représente avant tout la douceur, la tolérance, la concorde et la sérénité. Pour ce qui concerne ses croyances religieuses, l’amie du duc de Nivernois n’est pas une philosophe aussi prononcée que Mme du Deffand, Mme de Choiseul ou Mme d’Épinay ; mais elle ne paraît pas non plus très pieuse. On lit, il est vrai, dans ses lettres que Mme de Nivernois l’emmène quelquefois au sermon ; elle a rédigé elle-même, comme nous l’avons dit, un sermon imprimé après sa mort par le duc de Nivernois parmi les opuscules sortis de sa plume. Ce sermon, envoyé par elle sous l’anonyme, en 1761, à la jeune veuve du comte de Gisors, est écrit très sérieusement sur un texte latin de saint Paul fourni par le duc ; mais il semble avoir été écrit pour tempérer précisément par l’éloge de la mansuétude et des « douces vertus de la sociabilité » le zèle trop austère ou trop belliqueux de la jeune comtesse. Parmi les pensées de Mme de Rochefort qui figurent dans le même volume, il en est une qui nous donnera la juste mesure de ses sentimens religieux ; elle a même été légèrement modifiée par l’éditeur, toujours circonspect. Le texte de cette pensée, écrit de la main même de la comtesse, était celui-ci : « La philosophie est plus raisonnable que la religion, mais elle est plus sèche. Voilà pourquoi il y a plus de dévots que de philosophes. » Le texte imprimé par les soins du duc porte : « La philosophie parait plus raisonnable… »

Quelques-unes des nuances que nous venons d’indiquer dans la situation de Mme de Rochefort peuvent se reconnaître dans la lettre suivante, écrite par elle de Saint-Maur au marquis de Mirabeau. Cette lettre nous met aussi en présence d’une personne dont il n’a