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Rien d’improvisé en effet, rien non plus de trop patiemment calculé, de recherché avec cette curiosité un peu opiniâtre dont les traces ne laissent pas dans d’autres œuvres de M. Lehmann d’embarrasser l’expression du sentiment. Il semble qu’ici l’obligation d’agir vite ait stimulé l’élan de la pensée, et que l’artiste, n’ayant pas le temps de raffiner sur le choix des termes, se soit aidé, pour rencontrer les plus énergiques, de ses empressemens ou de sa passion. Peut-être aussi la forme assez exceptionnelle des cadres qu’il avait à remplir l’a-t-elle plutôt secouru qu’entravé dans la composition de chaque scène, car, — j’en appelle sur ce point à l’expérience des peintres soumis à de pareilles épreuves, — l’originalité de l’ordonnance pittoresque peut ressortir parfois de la gêne apparente imposée par l’irrégularité du champ où il s’agissait d’opérer. — Que certaines causes extérieures aient été pour quelque chose dans le caractère imprévu des compositions ou dans la verve de la pratique, cela au surplus importe assez peu : l’élévation et la logique des idées exprimées ont une origine supérieure à des influences de cet ordre. On serait donc aussi mal venu à prétendre expliquer de pareils mérites uniquement par les hasards matériels d’un programme qu’on le serait à croire sur parole ceux qui, en matière d’histoire et d’esthétique, suppriment sans façon l’inspiration ou la volonté individuelle, pour tout subordonner, tout réduire à la pure « influence des milieux. »

Une autre œuvre entreprise peu après les peintures de l’Hôtel de ville et accomplie dans des conditions très différentes, la décoration des deux hémicycles de la salle du trône au palais du Luxembourg, achèverait au reste de prouver que le talent de M. Lehmann n’a pas besoin pour donner sa mesure de s’irriter par la lutte avec le temps ou avec l’espace. Ici plus de compartimens à remplir chacun en quelques jours, et en y groupant seulement quelques figures, plus de subdivisions architectoniques morcelant le développement du thème choisi aussi bien que le champ du travail. Deux vastes surfaces en voussure couronnant le mur qui s’élève à chaque extrémité de la salle permettaient cette fois au peintre d’arriver par l’unité de l’aspect à l’expression complète de sa pensée ; mais elles l’exposaient aussi au danger de la délayer en proportion de l’étendue, et, comme les peintres de grandes machines au temps de la décadence, d’employer pour se tirer d’affaire les pièces de remplissage ou les redites.

En résumant sur les voûtes de la salle du trône l’histoire de la monarchie française depuis les Mérovingiens jusqu’aux Bourbons, M. Lehmann n’a pas voulu recourir à ces vieilles ruses, à ces artifices ordinaires de composition. Sans doute les lois de la pondération pittoresque sont observées par lui avec un soin scrupuleux. Point