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sur lesquelles il a fait revivre l’archevêque de Paris, M. Dumon, l’amiral Jaurès, M. Pelletier, trouveraient-elles des équivalens parmi les œuvres du même genre qui figurent chaque année au Salon ? Cependant, si fidèles qu’ils soient au double point, de vue de l’image physique et de la ressemblance morale, avec quelque sagacité que le peintre y ait défini les coutumes intellectuelles aussi bien que le tempérament de ses modèles, ces portraits d’hommes ne donnent pas toute la mesure du talent de M. Lehmann. C’est surtout dans les portraits de femmes que ce talent se manifeste, parce que là ses inclinations essentielles sont en accord intime avec les conditions mêmes de la tâche, et que l’extrême délicatesse du goût, loin de compromettre comme ailleurs l’énergie nécessaire des intentions ou du style, n’arrive qu’à mieux mettre en relief l’expression d’élégance inhérente aux types donnés.

Le goût, telle est en effet la qualité dominante du peintre qui a produit, entre bien d’autres, les beaux portraits de Mme Lehmann, de Mme George Halphen, de Mme de Jaucourt, de Mme Joubert, et ce charmant portrait de Mme James Hartmann exposé, il y a quelques années, dans la galerie du boulevard des Italiens. C’est cette rare aptitude à observer la mesure entre l’imitation textuelle et l’interprétation trop libre de la réalité qui donne à ses œuvres un double caractère de vraisemblance sans platitude et d’élégance sans afféterie. On a dit des femmes peintes par Van Dyck « qu’elles ont toutes l’air de grandes dames ; » on pourrait dire aussi justement de celles qu’a représentées M. Lehmann qu’elles montrent du tact et de l’esprit même dans les frivolités de la parure, même dans le luxe. Moins ténu, moins subtil dans sa finesse que le style de M. Amaury Duval et de quelques autres peintres de portraits formés à l’école d’Ingres, le style de M. Lehmann s’approprie mieux que celui de Flandrin lui-même à l’expression de certaines délicatesses ou de certains agrémens extérieurs. Flandrin excellait à traduire sur la toile la vie intime de ses modèles, à les montrer dans la paix de leur foyer, dans la simplicité de Jeun » coutumes domestiques. Non-seulement il ne lui est pas arrivé plus de deux ou trois fois de peindre des femmes en habits de fête, mais celles qu’il a représentées portent à peu près toutes des vêtemens de couleur sombre, comme. si la jeunesse ou la beauté n’avait jamais eu à ses yeux qu’un charme mélancolique, on dirait presque une signification austère. De là en partie ce caractère de parfaite honnêteté, d’onction même, qui distingue dès le premier aspect ses ouvrages ; mais de là aussi une certaine uniformité pittoresque qui, généralisant un peu trop la physionomie individuelle, semble, bon gré mal gré, rattacher des. types nécessairement divers à la même famille, aux mêmes traditions, aux mêmes habitudes de l’esprit ou du goût. Sous le