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M. Lehmann, on aura pu déjà pressentir l’esprit dans lequel les peintures de la nouvelle salle des assises ont été conçues et exécutées. Comment un artiste aussi naturellement enclin à scruter le fond des choses, aussi habitué à donner même à l’image de la simple forme le caractère d’une démonstration ou d’un raisonnement, comment un pareil docteur en philosophie pittoresque aurait-il renié sa vocation et ses croyances là où plus que jamais l’occasion se présentait de les faire prévaloir ? Si, suivant le mot de Joubert, « la peinture doit être de la morale construite, » nulle part les efforts en ce sens ne semblaient mieux de mise que dans ce sanctuaire de la justice humaine, et ceux que M. Lehmann allait accomplir ne pouvaient que confirmer avec plus d’opportunité encore les preuves déjà faites ailleurs et les préférences témoignées par lui. Ajoutons qu’en entreprenant ce travail M. Lehmann s’estimait obligé à une revanche envers lui-même, à l’expiation personnelle d’un récent péché dont il avait au surplus spontanément sollicité le châtiment et courageusement effacé les traces. Quelle était donc cette faute que M. Lehmann se reprochait si sévèrement ? D’où venaient ces repentirs et ces scrupules ? Le fait est trop honorable en soi, il montre trop bien ce qu’un artiste véritable sait sacrifier dans certains cas au respect de l’art et à sa propre dignité, pour qu’on soit mal venu à le mentionner, au moins en passant.

Peu d’années après celle où il venait d’achever ses peintures murales au Luxembourg, M. Lehmann avait été chargé par l’administration municipale de décorer l’un des bras de la croix dans l’église de Sainte-Clotilde, à Paris. Tout entier d’abord à ce grand travail, puis forcé à plusieurs reprises de l’interrompre pour d’autres travaux, réduit enfin, sous peine d’en ajourner indéfiniment l’exécution, à la nécessité d’emprunter le secours de mains étrangères, il n’était arrivé au terme de l’entreprise qu’après des alternatives d’autant plus pénibles et avec un mécontentement d’autant plus vif que son ambition au début avait été plus haute, sa confiance dans le succès en apparence mieux fondée. Que restait-il maintenant de ses premières espérances ? qu’était-il résulté de ses propres efforts ou des efforts qu’il avait dirigés ? Une œuvre insuffisante selon lui, et dans sa pensée condamnée à disparaître. Aussi, sacrifiant sans hésiter non-seulement tout le zèle et le temps personnellement dépensés, mais encore la somme considérable que lui avait coûtée la rémunération due à ses aides, s’empressa-t-il de demander pour unique prix de son travail qu’il lui fut permis de l’anéantir. Il réclama si bien cette étrange faveur, il mit à s’accuser lui-même tant de chaleur et d’insistance, que malgré les conclusions toutes contraires d’une commission nommée à cet effet, malgré les éloges formels décernés par les membres qui la composaient, l’administration