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finit par se laisser vaincre. Elle consentit à la destruction des peintures, pensant bien sans doute qu’il n’y avait pas à redouter beaucoup pour autrui la contagion d’un pareil exemple, et qu’en donnant à la fière susceptibilité d’un artiste une satisfaction de cette sorte elle ne courait le risque de créer pour l’avenir ni une jurisprudence trop souvent invoquée ni un précédent fort dangereux.

L’affaire ainsi terminée, M. Lehmann entreprit aussitôt ses travaux au Palais de Justice, bien résolu cette fois à en poursuivre l’achèvement tout d’une haleine, et, sauf pour quelques parties accessoires, à ne se lier qu’à lui-même du soin de traduire sa pensée. Ici d’ailleurs les conditions particulières de l’emplacement imposaient, dans l’expression des détails aussi bien que dans l’aspect général, une rigueur architectonique à laquelle les tâches antérieures du peintre avaient pu moins directement convier son imagination ou moins nécessairement obliger sa main. Il ne s’agissait plus en effet de couvrir, comme au Luxembourg, une surface assez vaste pour s’isoler en quelque sorte des décorations environnantes et constituer par elle-même un tout, — ou bien, comme à l’Hôtel de ville, de suspendre à des hauteurs presque inaccessibles au regard une série de groupes sans lien immédiat, sans influence, à vrai dire, sur l’ensemble, en raison même de la multiplicité des champs, et de la division infinie du travail. Il s’agissait au contraire de confirmer l’unité des intentions préalablement exprimées par l’architecte, d’orner à sept ou huit mètres seulement du sol le centre et les compartimns latéraux d’un plafond dont chaque partie a sa raison d’être dans l’économie du plan général ; il fallait en un mot associer si étroitement les combinaisons pittoresques aux lignes de l’architecture que le tout, malgré la diversité des moyens, arrivât à simuler une œuvre d’une seule provenance et d’un seul jet. C’est en quoi M. Lehmann pour sa part nous semble avoir pleinement réussi. Très fermes quant au choix des tons généraux et au style des contours, en même temps très finement étudiées dans tout ce qui tient aux agencemens de détail ou aux saillies relatives du modelé, les cinq compositions qu’il a peintes s’accordent ainsi avec le caractère des ornemens qui les encadrent, comme l’exécution en est exactement proportionnée à la distance où elles apparaissent et aux dimensions des surfaces qu’elles occupent. Différentes en cela des peintures, fort remarquables d’ailleurs, double pinceau de M. Bonnat a orné le plafond d’une salle voisine et qui se recommandent, à peu près à l’exclusion du reste, par l’âpre franchise de l’aspect et par l’énergie du sentiment décoratif, ces cinq compositions ont quelque chose de persuasif parce qu’on y sent le goût de la mesure jusque dans la recherche de la grandeur ou de la force, parce que l’ampleur de l’effet n’y résulte pas de purs sacrifices, parce