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relève l’originalité. Il n’y a pas là seulement l’œuvre d’un peintre érudit, d’un artiste formé à bonne école et pratiquant avec une pieuse obstination les exemples qui lui ont été transmis ; il y a la marque d’un talent inspiré pour son propre compte, d’un talent sachant concilier avec le respect des traditions reçues la confiance dans son expérience personnelle, et aussi peu tenté de désavouer ses aptitudes que de répudier ses souvenirs.

C’est ce qu’on peut dire également des trois autres tableaux complétant la décoration du plafond de là nouvelle salle des assises, particulièrement de celui qui représente la Méditation sous les traits d’un juge plongé dans l’étude et s’y oubliant si bien qu’il ne semble même pas soupçonner la présence d’un jeune garçon occupé à renouveler l’huile de la lampe qui éclaire cette veille austère : gracieuse figure d’enfant dont les lignes souples accidentent sans l’agiter la silhouette du groupe, et qui, tout en laissant à l’ensemble une physionomie grave et recueillie, introduisent fort à-propos l’élégance pittoresque, là même où prédominent de tout autres élémens d’intérêt. Ailleurs, il est vrai, la combinaison des intentions est moins heureuse, et le mode d’expression moins net. Ainsi dans l’image de l’Intégrité, personnifiée par un juge qui repousse les présens et les insinuations à double fin d’une femme, on pourrait souhaiter que l’incorruptible vertu de l’un n’affectât point, pour se déclarer, une majesté aussi voisine de l’emphase, et que, chez l’autre, les tentatives de séduction fussent mieux expliquées par les charmes du visage et de la personne. Ces ne sont là que des imperfections de détail. Considéré dans son ensemble, le récent travail de M. Lehmann atteste une habileté supérieure, et justifie tout ce qu’on pouvait attendre d’un talent dès longtemps familiarisé avec les plus hautes conditions de l’art. Depuis ces peintures du plafond jusqu’au Crucifix et aux deux figurés en grisaille de la Religion et de la Philosophie qui ornent le mur élevé au fond du prétoire, l’artiste a traité les diverses parties de sa tâche avec cette dignité dans les intentions, avec cette inébranlable conscience dont son passé tout entier nous répondait. Il nous a prouvé de plus que le progrès pouvait résulter pour lui de cette fidélité même, de ce dévoûment à des principes fixes. Sans rien démentir, à l’âge de la maturité, des promesses ou des engagemens de sa jeunesse, il a montré qu’il lui appartenait encore de se créer de nouveaux titres et de conquérir une nouvelle autorité.

Suffirait-il d’ailleurs, en constatant le fait, de ne lui attribuer d’autre signification que celle d’une simple particularité biographique ? Il y a dans cette conséquence logique d’une carrière bien remplie quelque chose qui intéresse de plus près les principes, et