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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


qui faisaient leur ornement distinctif ; ce corps venait de se renforcer de recrues thraces, paysans grossiers, presque barbares et pour la plupart païens : Lucius aussi professait le paganisme. C’était un soldat brutal, mais exact à son devoir. Les instructions d’Anthémius lui prescrivaient de ne point employer les armes contre des gens désarmés ; il se contenta donc de haranguer la foule rassemblée dans les thermes, en laissant presque tous ses soldats à la porte. Il dit aux chrétiens réunis, le plus éloquemment qu’il put, « que ce n’était pas là une place convenable pour administrer le baptême et célébrer leurs mystères, qu’ils avaient des églises restées désertes où ils feraient bien de retourner avec leurs prêtres, que l’empereur le voulait ainsi. » L’improvisation du commandant des scutaires eut peu de succès. Les catéchumènes ne bougèrent point des piscines ; le chant des psaumes continua, et la foule finit par se moquer de lui. Il sortit furieux et humilié, obéissant, quoi qu’il en eût, aux recommandations du maître des offices. Au palais, où il revint avec ses soldats, il trouva Antiochus, qui l’attendait. Antiochus ajouta ses sarcasmes aux humiliations de l’officier. « Quoi ! lui dit-il, vous vous laissez jouer ainsi, et vous avez des soldats ! et c’est un ordre de l’empereur que vous alliez exécuter ! Quelle faveur voulez-vous donc en obtenir ? » Il lui fit alors les plus belles promesses d’avancement, s’il se conduisait mieux ; « il lui débita des paroles dorées, » suivant le mot du narrateur contemporain. En résumé, il le ramena à ses idées, il encouragea les soldats par des largesses, et fit consentir Lucius à une seconde expédition qu’il saurait rendre définitive.

Lucius néanmoins ne voulut point repartir sans avoir en tête de sa troupe des ecclésiastiques qui le dirigeraient et couvriraient sa responsabilité. Antiochus lui donna des diacres attachés à sa personne, et, sous ce commandement mixte d’officiers et de clercs, la troupe des scutaires reprit le chemin des thermes de Constance. Il n’y eut plus cette fois de préliminaires ni de harangue. Lucius, dont la tête s’était exaltée jusqu’à la fureur, sauta dans la piscine principale, armé d’un bâton ou d’une hampe de lance, écartant à droite et à gauche les catéchumènes ; d’un coup assené sur le bras du diacre qui oignait les baptisés, il fit tomber le saint chrême dans les eaux, puis il assomma le prêtre qui prononçait les paroles sacramentelles. Le vieillard à son tour tomba, la tête fendue, et ensanglanta les fonts baptismaux : l’exemple était donné aux soldats, et il n’y eut plus de mesure dans les attentats. Les uns coururent au vestiaire des femmes et emportèrent leurs robes et leurs bijoux ; les autres firent main basse sur l’autel, dont ils se partagèrent les tapis de soie et les vases sacrés ; des prêtres revêtus de leurs habits sacerdotaux furent battus et foulés aux pieds, des femmes outra-