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se leva aussitôt et ordonna à ses serviteurs de seller et caparaçonner son cheval et de le tenir en main à la porte occidentale, comme s’il devait bientôt sortir. S’approchant ensuite des évêques qui pleuraient, il en embrassa deux, et, détournant son visage baigné de larmes, il leur dit : « Je vous embrasse tous en la personne de ceux-ci ; restez dans le sanctuaire afin que je reprenne un peu de calme avant de partir. » Il se dirigea alors d’un pas ferme vers le baptistère, où ses diaconesses étaient réunies. Appelant à lui Olympias, Pentadia, Ampructé et Silvina, celles d’entre elles qu’il aimait le mieux, il leur dit : « Venez, mes filles, et écoutez-moi bien. Pour ce qui me regarde, je sens que tout est fini : ma course est consommée, et peut-être n’apercevrez-vous plus mon visage. Je n’ai qu’une chose à vous recommander, c’est qu’aucune de vous ne s’écarte du respect qu’elle doit à l’église. Quiconque, conduit à l’ordination par le consentement de tous, sans brigue et sans ambition, deviendra mon successeur, soumettez-vous à lui comme à moi-même, car l’église ne peut être sans évoque. Obtenez par là miséricorde et souvenez-vous de moi dans vos prières. » Ces femmes, en l’entendant, s’étaient précipitées à ses pieds, qu’elles pressaient contre leurs lèvres en les inondant de pleurs. Appelant alors un des prêtres qui l’avaient suivi : « Éloignez-les, lui dit-il, de peur que leur affliction ne trouble le peuple. » Ses adieux étaient faits. Traversant rapidement la basilique, il gagna la porte orientale, où il se remit aux mains des soldats, qui l’entraînèrent en le cachant aux regards. « L’ange de l’église, nous dit le narrateur contemporain de cette touchante scène, partit avec lui. »

La présence du cheval ordinaire de Chrysostome près de la porte occidentale donna pendant quelque temps le change au peuple, qui attendit patiemment ; il finit pourtant par soupçonner la vérité, et les uns coururent au port, où ils purent voir la barque qui contenait le prisonnier et quelques évêques et prêtres ses compagnons traverser le Bosphore pour gagner la côte de Bithynie ; les autres, forçant une issue secrète du cloître, pénétrèrent par là dans l’église. Ils la trouvèrent gardée par des soldats qui l’avaient occupée au moment du départ de Chrysostome, et assuraient les clôtures des portes pour empêcher l’entrée de la foule. Ces soldats voulurent repousser les nouveau-venus, dont le nombre augmentait sans cesse ; ceux-ci résistèrent, et on se battit sur les dalles, qui furent ensanglantées. La foule amassée sous le grand portique, entendant des cris et un cliquetis d’armes à l’intérieur, crut qu’on faisait violence à l’archevêque, et voulut enfoncer les portes principales ; mais elles étaient solides et fortifiées en dedans, comme je l’ai dit, par des armatures en fer et des verrous. On dut en faire le siége : on apporta des leviers, on lança des blocs de pierre ; les ais brisés vo-