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absurde qu’il soit ; mais elles n’ont pas toutes également tourné autour de ce fond commun. La plupart, en se mêlant soit aux rêveries et aux passions humaines, soit aux systèmes philosophiques, l’ont prodigieusement altéré et corrompu ; deux seulement, la juive et la chrétienne, sont restées fidèles au fond commun religieux primitif en le développant progressivement selon le plan et l’action de Dieu sur le genre humain. C’est par là que ces deux religions diffèrent essentiellement des autres, et révèlent une origine divine. »


Cette lettre remarquable, d’une si belle clarté et d’un si ferme esprit, commente et développe heureusement quelques-uns des points de la doctrine philosophique de M. Guizot. Elle ne détruit pas, à notre avis du moins, la difficulté que nous avions eu l’honneur de lui proposer. Cette difficulté portait sur le singulier accord que nous avions cru remarquer entre la pensée de M. Guizot et celle de l’école positiviste à propos de la nature et des limites de la philosophie. M. Guizot repousse cette assimilation en affirmant que le positivisme nie non-seulement la science, mais la réalité même de tout ce qui est au-delà du fini. Les positivistes sont, nous dit-il, des matérialistes inconséquens. Nous ne pouvons consentir à accepter cette explication. Sans doute il arrive dans la pratique que les positivistes s’expriment souvent comme les matérialistes eux-mêmes, souvent aussi ils sont purement et simplement des matérialistes ; mais c’est qu’alors ils sont, selon nous, des positivistes inconséquens. Le positivisme, dans son esprit, dans son idée vraie, dans la pensée d’Auguste Comte, son fondateur, se distingue essentiellement du matérialisme. L’idée-mère du positivisme, c’est que la science doit s’abstenir de toutes recherches sur les causes premières et sur l’essence des choses ; elle ne connaît que des enchaînemens de phénomènes ; tout ce qui est au-delà n’est que conception subjective de l’esprit, objet de sentiment, de foi personnelle, non de science. Or une telle théorie exclut aussi bien le matérialisme que le spiritualisme. Nous ne connaissons pas plus l’essence de la matière que l’essence de l’esprit, pas plus l’essence de l’esprit que l’essence de la matière. Les origines et les causes nous sont inaccessibles. En dehors de la chaîne et de la série des phénomènes, il n’y a qu’un vaste inconnu que l’on peut appeler comme on veut, selon les tendances de son âme, mais qui est absolument indéterminable par aucun procédé scientifique.

Telle est la véritable idée du positivisme, comme il serait facile de le prouver par un grand nombre de passages empruntés aux maîtres de l’école. Je n’en citerai qu’un, qui est explicite et décisif. « Ceux qui croiraient que la philosophie positive nie ou affirme