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les plus douloureux. C’est un de ces faits dont vous nous demandez, dont nous vous demandons l’explication. S’en servir pour rendre plausible et vraisemblable l’hypothèse que vous nous proposez, c’est supposer ce qui est en question. Si je demande comment il se fait qu’un enfant innocent hérite des infirmités d’un père coupable, comment croire que l’on répond à cette question en transportant à l’origine de l’humanité ce fait lui-même qui me remplit de pitié et d’horreur ? On aura beau établir que le péché originel est un fait, on n’aura pas prouvé par là que c’est un fait juste. Si l’on dit que d’un Dieu bon et parfait tout est bon, je n’en disconviens pas ; mais c’est là précisément l’explication philosophique que l’on a déclarée insuffisante, et cette explication, une fois admise, rend inutile toute autre hypothèse, y compris celle du péché originel.

J’ajoute que l’analogie tirée de l’hérédité des maux physiques est très imparfaite dans le cas qui nous occupe, car la source de ces maux n’est pas toujours coupable. On voit un père aliéné ou phthisique transmettre à ses enfans la phthisie ou l’aliénation, sans qu’on puisse le considérer lui-même comme coupable du mal dont il est la source : autrement il faudrait bientôt transformer toutes nos maladies en crimes ; mais s’il est des cas où l’hérédité du mal a lieu sans péché et par une simple loi de la nature, n’est-il pas évident que c’est la même loi qui s’applique dans les autres cas, et que par conséquent il y a là, non un châtiment héréditaire, mais une simple communication du mal suivant des lois données, d’où il n’y a rien à conclure en faveur du dogme en question ?

La doctrine de la chute n’explique rien de ce qu’il s’agit d’expliquer ; par exemple, elle n’explique pas une grande partie du mal qui couvre la terre, la douleur chez les animaux ; leur appliquera-t-on la doctrine du péché originel, et, pour rappeler le mot de Malebranche, « ont-ils donc mangé du foin défendu ? » Je sais que quelques pères n’ont pas craint de faire rejaillir jusque sur les animaux et même sur la nature matérielle en général les conséquences du péché primordial[1], et les théologiens réformés ont été extrêmement loin dans cette voie. Chez quelques-uns, c’est presque un dogme que le mal chez les animaux est une conséquence du péché de l’homme. Une extension aussi exorbitante de la doctrine du péché ne peut être avancée que par un fanatisme aveugle. Que devient d’ailleurs dans cette hypothèse la doctrine de la contagion

  1. Saint Théophile d’Antioche considère comme conséquence au péché la férocité des animaux sauvages, Tatien le poison des plantes vénéneuses, saint Augustin les naissances monstrueuses, saint Isidore l’affaiblissement de la lumière du soleil et de la lune. (Manuel de l’histoire des dogmes chrétiens, par Henri Klée, traduction française de l’abbé Mabire, t. Ier, p. 423.)