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sous les remparts de la ville. On dirait une scène du XVe siècle. Ce poème et bien d’autres encore inspirés des mêmes événemens se chantent, dit M. Kapper, dans tous les pays serbes, en Turquie comme en Autriche, dans la principauté comme dans la voïvodie. Kara-George, en 1809, avait renoué les liens séculaires entre les Serbes de la principauté et les Serbes de la Bosnie et du Monténégro ; Kara-Georgevitch, en 1848, soit qu’il ait laissé faire, soit qu’il ait favorisé les corps francs, a renoué aussi les fraternelles relations des Serbes de son pays avec les Serbes du pays des Magyars.


III

Un autre épisode très digne d’intérêt sous le règne de Kara-Georgevitch, ce fut l’attitude de la Serbie pendant la guerre de Crimée. On se rappelle la fastueuse ambassade du prince Menchikof à Constantinople, ses allures impérieuses, ses paroles menaçantes ; ce n’étaient pas seulement les conseillers d’Abdul-Medjid que le représentant du tsar voulait intimider, il tint la même conduite avec le gouvernement serbe. Le prince Alexandre venait d’appeler au ministère des affaires étrangères un personnage justement estimé, esprit libéral, caractère ferme, l’un des hommes d’état les plus considérables de la Serbie, M. Élia Garachanine. Ce ministère avait été occupé jusque-là par le vieil Abraham Petronievitch, l’un des auteurs de la révolution de 1842. Petronievitch, également sensible aux séductions des Russes et aux flatteries des Ottomans, ayant tour à tour servi la cour suzeraine et la cour protectrice, ne faisait ombrage ni aux uns ni aux autres. Ce n’est pas lui que le prince Menchikof aurait eu besoin d’intimider. Tout autre était M. Garachanine. Personne à cette date ne représentait mieux ce qu’on appelait le parti national, ce parti qui, indifférent aux questions dynastiques, ne songeait qu’à servir la cause serbe. M. Garachanine, étant venu compléter son éducation politique en Occident, y avait trouvé un accueil empressé ; cela seul suffisait pour qu’il eût auprès du gouvernement russe la réputation d’un esprit dangereux. Ces idées occidentales qui font échec aux projets du panslavisme, le cabinet de Saint-Pétersbourg les appelle des idées subversives et révolutionnaires. M. Garachanine était donc suspect au prince Menchikof, qui envoya de Constantinople à Kara-Georgevitch l’injonction de destituer son ministre. Cette injonction, transmise, par le consul-général de Russie à Belgrade, était faite dans la forme la plus impérieuse. Le prince avait vingt-quatre heures pour se décider ; passé ce terme, s’il n’avait pas obéi, le consul avait ordre d’amener son pavillon. Le prince Alexandre, qui n’a jamais brillé par la résolution, eût souhaité que M. Garachanine se retirât