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auditeurs. » D’autres femmes se mêlaient aussi de le moraliser. « Je suis résolue de vous gronder, et cela tout de bon, lui écrivait une de ses belles correspondantes. Allons ! justifiez-vous. Pourquoi fuyez-vous le monde ? pourquoi vivez-vous comme une taupe dans un trou ? pourquoi maltraitez-vous les femmes ? Que vous ont-elles donc fait, ces pauvres femmes ? Vous ne les haïssiez pas trop autrefois ! Si c’est humeur, il ne faut pas se la passer ; si c’est mélancolie, il faut faire effort pour s’en tirer ; si c’est chagrin, il faut se dissiper ; si c’est une passion tendre, c’est trop, fi ! Je ne veux pas le croire ; il faut une raison plus essentielle et plus sérieuse pour un changement comme celui-là… Quand on ne trouve rien dans ce globe digne de la peine de l’étreindre, quand on laisse éteindre ses passions plutôt que de les diriger, et qu’alors on manque de l’aiguillon que la nature nous a donné pour nous faire agir, on reste dans une oisiveté qui finit par nous rendre coupable. Quant aux femmes, j’en demande pardon à mon sexe, mais j’aime bien mieux qu’on ne parle à aucune que de s’occuper uniquement de toutes. Je ne connais rien dans la nature de plus méprisable qu’un homme qui en fait son unique affaire. »

L’humeur sombre d’Elliot devait pourtant se dissiper avec le printemps, mais non pas uniquement sous l’influence des beaux jours qui renaissaient. La tenue de la diète fit venir à Ratisbonne les représentans de toutes les puissances germaniques et parmi eux le comte Neipperg, envoyé d’Autriche. Sa femme était sœur de la belle princesse d’Auersperg, qui fut pendant de longues années la rivale heureuse de Marie-Thérèse, et c’est elle probablement qui a donné le jour à ce comte Neipperg dont la séduisante figure devait frapper l’imagination de Marie-Louise enfant et lui faire plus tard oublier Napoléon. Le hasard ou les devoirs de sa charge amenèrent Elliot en présence de la comtesse Neipperg. Adieu projets de réforme, studieuse retraite, promenades solitaires ! Celui qu’on n’appelait déjà plus que le sauvage Elliot devint le commensal de la maison Neipperg, et l’on peut penser si la médisance eut beau jeu. Pas de fêtes dont il ne fût l’ordonnateur ou le héros. Dans l’une de ces fêtes, on organisa un tir à l’arc, et pour complaire à Elliot on disposa en guise de cible un mannequin qui représentait l’Amérique. Ce fut une des flèches lancées par la comtesse Neipperg qui vint frapper en pleine tête l’effigie grossière par laquelle on avait voulu personnifier une puissance alors ennemie de l’Angleterre. La belle comtesse fut transportée de plaisir, et son adresse provoqua, nous dit-on, les applaudissemens malins de ses hôtes.

Ce fut au milieu de ces occupations agréables qu’Elliot reçut l’ordre de revenir en Angleterre. Croyant que son rappel était une