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mauvaise humeur en passant et repassant plusieurs fois devant lui aux réceptions officielles sans paraître l’apercevoir. Il attendait avec impatience que quelque nouveau revers de l’Angleterre lui fournît l’occasion désirée. Cela ne tardait jamais bien longtemps. « Monsieur Elliot, demandait un jour Frédéric à brûle-pourpoint, qui donc est cet Hyder-Ali qui arrange si bien vos compatriotes aux Indes ? — Sire, c’est un vieux despote qui a beaucoup pillé ses voisins ; mais heureusement qu’il commence à radoter. » — « Monsieur, disait le lendemain Elliot à l’un de ses collègues, j’ai goûté là une vengeance que Satan aurait enviée. » Elliot n’avait pas toujours aussi beau jeu, et parfois, quand il venait imprudemment provoquer le vieux lion, celui-ci lui faisait sentir sa griffe à son tour. Hyder-Ali ayant été mis en déroute par sir Eyre Coote, Elliot ne manqua point d’apporter au roi le rapport envoyé par ce général à son gouvernement. Dans ce rapport, suivant une habitude très respectable des documens officiels anglais, il était rendu grâces à Dieu et à la Providence. Frédéric, après avoir parcouru le rapport, le rendit à Elliot en disant : « Il est beaucoup question de Dieu là dedans ; je ne vous connaissais pas cet allié-là. — Nous comptons cependant beaucoup sur lui, sire, bien que ce soit le seul que nous n’ayons jamais payé[1]. — Aussi vous en donne-t-il généralement pour votre argent, » rétorquait sur-le-champ Frédéric.

Il y avait plus de cinq années qu’Elliot s’escrimait ainsi de son mieux pour l’honneur de la vieille Angleterre quand, à la suite d’une crise ministérielle amenée par la chute du cabinet de lord North, il reçut ses lettres de rappel. Quelques mois après, en septembre 1782, il fut nommé ministre à Copenhague. Cette nomination, qui au point de vue de l’ambition diplomatique le satisfaisait médiocrement, eut la plus funeste influence sur son bonheur domestique. Un peu par sa faute, la lune de miel n’avait pas été de longue durée, et maintes fois déjà il avait eu à souffrir des violences et des légèretés de sa femme. Au moment de partir pour Copenhague, Charlotte Elliot invoqua le mauvais état de sa santé et la saison avancée pour demeurer à Berlin avec son enfant, s’engageant à rejoindre son mari au retour de la belle saison. Durant l’hiver, la volage Charlotte ne prenait que rarement la peine d’écrire, et c’était à Mme de Verelst qu’Elliot était réduit à s’adresser

  1. Cette réponse est prêtée par Thiébaut à Mitchell, le prédécesseur d’Harris à Berlin. Lady Minto affirme de son côté qu’elle l’a toujours entendu attribuer à son grand-père. En général, nous croyons lady Minto mieux informée que Thiébault, qui, rassemblant des souvenirs déjà lointains, est tombé parfois dans des erreurs faciles à relever. Nous devons dire cependant que Harris fait également honneur à Mitchell de cette réponse.