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LA GRECE EN 1869

Quoique les populations se renouvellent insensiblement, il y a aujourd’hui dans la société grecque trois générations distinctes, sans compter les enfans, qui feront la quatrième. La première a combattu dans la guerre de l’indépendance ou en a vu les derniers actes ; elle se compose de palikares, de vieux marins et de quelques politiques des premiers jours. La seconde a rebâti les villes, rédigé la constitution et créé les écoles ; elle est au gouvernement et occupe la plupart des hautes fonctions dans l’état, la banque et le commerce. Enfin il y a les jeunes hommes, qui ne tarderont pas à jouer les principaux rôles. La vieille génération est presque épuisée, ses représentans s’éteignent tous les jours ; mais quand il lui arrive de se montrer dans les affaires publiques, elle se croit encore au temps des Turcs, et suit une politique de pachas. La génération moyenne, qui a le rôle actif, est désespérée. Elle a compté sur une extension de l’indépendance hellénique, sur un abandon de la Crète et sur une amélioration de la situation générale ; elle n’a pas reculé pour cela devant de grands sacrifices. Après le verdict de la conférence de Paris, il lui a fallu faire une sorte de liquidation. Alors elle s’est vue en face d’un trésor vide et endetté, d’une société appauvrie et obsédée par le brigandage, d’administrateurs, corrompus et poursuivis par la voix publique, d’une chambre artificielle qui venait d’abdiquer en deux mots entre les mains d’un ministère devenu impossible, enfin d’une puissance qui, d’adversaire de la Grèce, était devenue son juge, et qui, de concert avec toute l’Europe, prononçait contre elle une condamnation. Quand je dis que cette génération d’hommes, la plupart dévoués à leur pays, est aujourd’hui désespérée, je traduis le mot grec qui retentit de tous côtés à mes