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là une source de revenu croissante et indéfectible. De nombreux projets encore commencent à circuler dans la société hellénique, desséchemens de marais, exploitations de mines et de carrières, colonies agricoles d’Européens. L’important n’est pas de rêver un grand nombre d’entreprises, c’est d’en exécuter quelques-unes, de s’aider soi-même et de réclamer au besoin l’appui de l’Europe, intéressée à la prospérité de la Grèce.

Nous avons dit en commençant que les hommes de la génération moyenne sont désespérés ; ils sont dans l’état d’un père qui voit son enfant souffrir d’une de ces crises que la croissance amène de temps en temps ; il est certain qu’elles sont quelquefois mortelles, mais la plupart ne le sont pas. Le peuple grec s’est nourri pendant un temps des alimens malsains que le nord lui a fait prendre ; il ouvre enfin les yeux, et probablement il va changer de régime. Comme il a d’ailleurs en lui tous les élémens d’une bonne et saine organisation, le besoin de vivre lui enseignera ce qu’il doit faire pour les développer et pour parvenir à l’âge adulte où les nations de l’Europe l’ont précédé. Quand il aura grandi, à son tour il deviendra utile aux autres et nécessaire à quelques-uns. Il ne possédera peut-être pas ce château en Espagne qu’on appelle Constantinople ; mais le sultan sera le premier à vouloir se servir des Hellènes, qui sont les hommes les plus intelligens de son empire. Quand la paix de ce côté lui sera assurée, rien ne l’attachera plus à certaines îles ou à certaines provinces qui sont sur la grande voie méridionale et non sur celle qui passe par sa capitale ; les forces morales les donneront à la Grèce comme elles donneront Rome à l’Italie. Le sultan comprendra un jour que, si, les peuples d’Occident étant occupés de leurs propres affaires, la Russie en profitait pour lui déclarer la guerre, il pourrait trouver dans ces provinces ou ces îles ce que la malheureuse Autriche a trouvé dans la Vénétie : la Crète occuperait ses navires, l’Épire et la Thessalie ses soldats, et il ne lui resterait plus que la moitié de ses forces pour se défendre au nord. Au contraire, s’il avait les Grecs pour amis, nul n’aurait plus d’intérêt que lui à les satisfaire et à les fortifier. Ainsi l’espoir de la Grèce est dans la paix : elle n’a plus besoin de guerres ni d’insurrections ; ce sont les violences au contraire qui la retiendraient dans son exiguïté et qui l’arrêteraient sur le chemin de l’avenir.


ÉMILE BURNOUF.