Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/593

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couchers de soleil. Ce qu’il y a certainement de plus curieux à Amsterdam, ce sont ses habitans ; mais ce n’est pas après un séjour de moins d’une semaine que nous voudrions nous permettre d’en juger. Sur le peu que nous en avons vu cependant, nous n’hésitons aucunement à affirmer qu’Amsterdam est certainement la ville la plus vraiment républicaine d’Europe, car c’est celle où domine le plus exclusivement l’esprit commercial avec son mélange de qualités et de défauts. On ne peut vraiment que recommander le voyage d’Amsterdam à ceux de nos démocrates qui s’obstinent à chercher parmi nous la démocratie ailleurs que dans la monarchie ; là ils comprendront que la république est avant tout et par-dessus tout une affaire de classes moyennes, de commerce, d’indépendance appuyée sur l’argent, nullement un gouvernement de pauvres gens et de prolétaires. Là où dominent la foi au coffre-fort et la certitude que l’homme n’est indépendant que lorsqu’il est riche, là domine la république ; d’autres idées, quelque démocratiques qu’en soit la tendance, n’entraîneront jamais que la monarchie. Pas d’argent, pas de Suisse, disait un vieux proverbe ; c’est la définition même de la république. Pas de foi en l’argent, pas de république. Aussi la seule secte à vues profondes de notre temps a-t-elle été celle des saint-simoniens avec leur religion du capital et leur culte du dieu Mammon, qu’ils avaient si ingénieusement et avec une si judicieuse probité installés sous la forme de billets de banque dans la petite rotonde qui servait de centre à la dernière exposition universelle, organisée par eux ; mais assez sur ce sujet.

Je ne veux cependant pas quitter Amsterdam sans dire à quel singulier triomphe de la France j’ai assisté dans cette ville, et quelle singulière émotion patriotique j’y ai ressentie. Un soir, pour tuer le temps, je me fais conduire à Leidsche-Bosche, espèce de grand café chantant, où l’on joue le vaudeville hollandais et l’opérette française, fréquenté par un public dont la plume d’un Paul de Kock hollandais tirerait un parti avantageux. Les cabotins indigènes ouvrirent le spectacle par un vaudeville national dont je m’évertuai à deviner le sens d’après leur jeu et leur accent. Autant que je sus comprendre, il s’agissait d’un vieux beau de province sur le retour amoureux de sa ménagère, qui lui préfère un jeune paysan frison. Les acteurs ne me parurent ni meilleurs ni pires que d’autres comédiens, tant que le point de comparaison me manqua ; mais voici que des comédiens français leur succèdent pour chanter l’opérette Monsieur Choufleuri restera chez lui, et aussitôt le pauvre mérite de ces indigènes disparaît devant l’éclat de nos bohèmes français comme les fantômes devant la lumière. Ces comédiens étaient simplement les premiers venus, quelque chose comme une troupe de