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même degré. Qui ne sait que les amours les plus entêtés naissent du contraste ? L’habitant des plaines soupire après les hauteurs, le montagnard envie l’habitant des plaines. C’est évidemment la satiété de leur éternelle prairie plate qui revêt la Gueldre d’un tel charme aux yeux des Hollandais : dans cette province au moins, on commence à apercevoir quelques exhaussemens du sol, quelques monticules, quelques accidens de terrain ; mais l’étranger, dont le polder n’est pas la patrie, ne trouve pas à ce paysage la nouveauté et l’originalité de la mer de verdure des deux Hollandes. La Gueldre lui rappelle des traits connus. L’Allemagne commence ici, et mille détails annoncent au voyageur ce grand et redoutable voisinage. Et d’abord c’est le fleuve allemand par excellence, le Rhin, qui vous l’indique par son changement de physionomie ; on voit bien qu’il se sent près de sa patrie à la majesté et à l’ampleur de son cours. Il est déjà tel que vous l’avez vu à Cologne, à Bonn, à Mayence. Quel contraste avec la physionomie morose et boudeuse, avec la figure maussade qu’on lui voit à Leyde, surtout à Utrecht, où il mérite réellement le nom ironique que lui ont donné les habitans, oude, le vieux. Ici, comme bondissant de se retrouver en pays natal, il se multiplie et s’épanche en trois beaux fleuves ; c’est sa manière de chanter le salve patria, Arnheim, coquette petite ville, de physionomie légèrement indécise, vous réserve des avertissemens d’un autre genre. Vous vous amusez, par exemple, à regarder les estampes qui décorent les murailles de votre hôtel, et vous trouvez dans cette occupation une occasion inattendue de repasser votre histoire des guerres de Silésie et de la guerre de sept ans. Voici tout l’état-major du grand Frédéric, Seidlitz, Schwerin, Léopold d’Anhalt, Ziethen chargeant en tête de ses hussards. Sommes-nous donc déjà dans les états de sa majesté prussienne ? Non, mais vous êtes à moins de deux heures de ce pays de Clèves, aimé de Frédéric, et qui lui fournit l’occasion de soulever ses premières chicanes dans ce grand procès qu’il intentait à l’Europe pour réclamer au nom des droits de sa nature la propriété d’une gloire dont il avait besoin. En vérité, si le successeur du grand Frédéric, M. de Bismarck, est, comme nous le pensons, partisan des théories sur les agglomérations des peuples par races, il semble qu’il pourrait réclamer comme bétail allemand ces bons habitans de la Gueldre. En tout cas, il n’est assurément pas de province en Hollande, après le Limbourg, où son nom soit prononcé plus fréquemment. Il revenait bien souvent dans une certaine chansonnette comique dialoguée que j’ai entendu chanter à Arnheim par deux queues rouges dont un, pauvre diable maigre comme un râteau, vrai symbole de famine, était mime d’un vrai talent. Bismarck et Maestricht, Maestricht et Bismarck, on n’entendait que ces deux mots ; on peut tirer de ce petit fait telle