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spéculatifs de profession acceptent en partie, mais qui pourtant dépasse de beaucoup l’extrême limite de leurs inductions légitimes. Ainsi la métaphysique, vouée, selon de sinistres prophéties, à une mort prochaine, prend une vie et une force nouvelles, et cela avec la coopération parfois intempérante des sciences qui, disait-on, devaient la tuer. Si le fait est vrai, quel éclatant démenti donné aux prédictions positivistes !

Or ce fait est certain. Il n’y a plus à en douter quand on a étudié d’importans travaux récemment publiés. De nombreux savans reviennent à cette recherche de l’invisible, de l’idéal et des causes dont on s’était flatté de les dégoûter à jamais. Ni les trésors de l’observation, ni la beauté des lois nouvellement découvertes, ne satisfont leur soif de connaître. Il leur faut une philosophie idéaliste de la nature, et quand ils ne la trouvent pas toute prête, sous la main, ils l’improvisent. Les preuves surabondent ; mais pour aujourd’hui, je n’appellerai en témoignage que la chimie et l’histoire naturelle. Sur la philosophie des chimistes, mon guide sera le dernier ouvrage théorique de M. Ad. Würtz. Il y a deux sortes de chimistes : ceux qui ont peur de la philosophie et ceux qui possèdent l’art de s’y appuyer. M. Würtz est de ces derniers. Tout en exposant fidèlement les résultats de l’expérience, il les voit et les fait voir de haut. Si je ne me trompe, il dirait volontiers de la science et en particulier de la chimie ce que Bossuet disait de la vérité en général, qu’elle est semblable à l’eau des fontaines, et qu’on doit l’élever pour la mieux répandre. Aussi l’Histoire des doctrines chimiques depuis Lavoisier jusqu’à nos jours fait-elle penser en même temps qu’elle instruit ; mais l’intérêt principal de ce remarquable morceau de littérature scientifique, c’est qu’on y assiste au développement continu pendant soixante années d’un idéalisme chimique auquel ont travaillé les plus illustres savans, et qui semble atteindre en ce moment son dernier degré de précision. C’est au sujet de cette philosophie que je consulterai surtout M. Würtz. Quant aux naturalistes, je demanderai leurs théories à trois hommes différens d’origine, de tendance, d’opinion. M. Agassiz, Suisse de naissance et professeur à Cambridge, en Amérique, est une puissante intelligence. Observateur pénétrant, penseur fécond en intuitions larges et profondes, du reste étranger, comme il le dit lui-même, à tout esprit de bigoterie ou de secte, il ne craint pas de se montrer idéaliste jusqu’à relever au nom de la zoologie les types génériques du platonisme. Notre compatriote M. de Quatrefages, plus circonspect, mais éminent par le talent d’exposition, la méthode et l’impartialité, établit en ce moment l’anthropologie sur un système d’hypothèses empruntée à la psychologie. Enfin un Allemand partisan avoué des