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renferme toute la matière des corps qui y sont entrés. Ces quelques principes d’apparence si modeste portaient dans leurs flancs la plus brillante et la plus heureuse des sciences modernes. Dès ses premières années, elle se développa rapidement à l’aide de sa méthode, dont la précision est incomparable. Sa puissance fut complète lorsqu’elle eut découvert avec Wenzel et Richter la loi des proportions définies, avec Dalton la loi des proportions multiples. Ces lois lui avaient livré le secret de l’action réciproque des élémens. Par elles, la chimie connaissait désormais les conditions mathématiques dans lesquelles s’accomplissent les mariages des substances qu’elle rapproche. Elle devenait maîtresse de former à son gré ces unions mystérieuses ou de les dissoudre quand il lui plairait. Réalisant enfin le vœu de Paracelse et se conformant au précepte de Bacon, elle imitait à volonté la nature et devenait, au moins dans certains cas, sa rivale.

Au moment même où ses lois lui étaient révélées par des faits éclatans, la chimie voulut pénétrer, au-delà de l’expérience, jusqu’à la substance des corps et jusqu’à la cause interne des changemens qu’ils éprouvaient. Trente ans à peine après les premières observations de Lavoisier, cette science sentit la nécessité de grouper les phénomènes autour d’une théorie qui en éclairât l’étendue et les relations. Dès lors on la surprend en flagrant délit de métaphysique. Ce qui paraîtra plus étonnant encore, c’est que l’idéalisme chimique inauguré à cette époque est resté en crédit, s’est fortifié avec les années, et exerce aujourd’hui un empire presque incontesté. Pour comprendre et mesurer l’essor que prit la chimie théorique il y a soixante ans, il faut savoir comment on fut conduit à adopter l’hypothèse des atomes.

En 1804, Dalton étudiait à Manchester la composition de deux gaz, le gaz des marais et le gaz oléfiant, formés l’un et l’autre d’hydrogène et de charbon. Il reconnut que, la quantité de charbon restant la même, le gaz oléfiant renferme exactement moitié moins d’hydrogène que le gaz des marais. Frappé de cette proportion de 2 à 1, il voulut étudier au même point de vue la composition de l’acide carbonique et de quelques autres corps. Le résultat de ses recherches fut celui-ci : lorsqu’un corps simple donné forme avec un autre corps simple une suite de combinaisons, le poids de l’un de ces corps restant le même, les poids de l’autre varient suivant des rapports numériques très simples. Quoi de plus simple effectivement que les différences de 1 à 2, 1 à 3, 2 à 3, 1 à 4, qui expriment ces rapports ? C’est là ce qu’on a nommé la loi des proportions multiples, dont la formule a été trouvée par Dalton. Un exemple rendra cette loi aisément intelligible. Qu’on prenne