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de leur empreinte. Entre les mains des derniers venus, elle s’est élargie, a pris une physionomie nouvelle et a reçu le nom caractéristique de théorie de l’atomicité. Sous cette forme récente, elle comprend quatre suppositions essentielles : les corps simples se composent de particules invisibles ou atomes ; ces élémens sont doués du pouvoir d’attirer et de fixer à leur substance les atomes de certains autres corps ; ils ont la propriété de choisir en quelque sorte le nombre et l’espèce des atomes auxquels ils tendent à s’unir ; enfin de cette dernière propriété se déduit la structure intérieure, la forme secrète ou, si l’on veut, l’architecture mystérieuse de la molécule. Existence de l’atome invisible, affinité, atomicité, structure moléculaire, où la chimie a-t-elle rencontré ces idées ? Hypothétiques ou non, ces notions sont admises par elle ; elle s’en sert à chaque instant. Encore une fois, à quelle faculté les doit-elle ? Est-ce aux sens ? est-ce à la pure raison ? Dans cette conception de l’atome renouvelée du matérialisme antique par la science contemporaine, n’y a-t-il que des résultats puisés aux sources expérimentales ?

Parmi les savans modernes, il y en a qui, malgré l’étymologie du mot, admettent que l’atome est étendu et même divisible. D’autres ne séparent pas l’idée d’indivisibilité de l’idée d’atome. Les premiers comme les seconds, quoique par des voies différentes, franchissent les limites de l’observation sensible et s’engagent dans le domaine des choses idéales. En effet, à le prendre d’abord comme étendu et divisible, l’atome n’a jamais été isolé de la masse dont il est partie intégrante. Pesant, il n’a jamais été séparément pesé ; étendu, il n’a jamais été séparément mesuré. Personne ne l’a vu, ni touché, ni montré. Il n’a donc jusqu’à présent qu’une existence purement rationnelle, car, malgré les propriétés physiques que la science lui prête, aucun de nos organes n’en a jamais reçu la moindre impression.

Regarde-t-on l’atome comme indivisible ? Ce que nous venons de dire sera, s’il est possible, encore plus vrai. « On appelle atome, dit M. Louis Büchner, la plus petite particule de matière qu’on ne peut plus diviser, ou que nous nous représentans comme indivisible. » Soit, répondrons-nous ; mais on ne se représente que les objets qu’on a déjà connus en entier ou dont on a rencontré du moins les élémens épars dans la réalité. Or on peut défier les savans de montrer l’indivisible où que ce soit dans la nature. Le microscope n’a pas rapproché l’indivisible de nos regards ; il l’en éloigne au contraire de plus en plus à mesure que l’instrument se perfectionne. D’un autre côté, l’étendue mathématique elle-même est toujours divisible par la pensée. Il n’y a d’indivisible en nous que notre âme, et en dehors de nous que ce que l’âme a idéalement conçu à l’image d’elle-même.