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ces termes d’une hypothèse de circonstance destinée à disparaître bientôt. Eh bien ! quand la philosophie examine de près cet ensemble de vues fécondes, elle n’y découvre que des inductions psychologiques et des intuitions idéalistes.

Ce n’est pas tout. En y réfléchissant, on voit se dessiner au fond de cet idéalisme une véritable théorie métaphysique de la matière. Il en sort en effet certaines conclusions que plus d’un chimiste déclinera peut-être, mais qu’il n’est pas facile d’éluder. Ces conclusions iraient aussi loin que les solutions risquées par les penseurs les moins timorés. D’abord et du premier coup, la théorie atomique entraîne une modification profonde des idées reçues au sujet de l’essence de la matière. C’est en partant de l’atome, à la fois invisible et indivisible, c’est en pensant à la force, indivisible et invisible comme l’atome parfait, que tel chimiste illustre de notre siècle en est venu à idéaliser la matière presque jusqu’à la supprimer. Dans une occasion récente et solennelle, M. Dumas a pu dire de Faraday : « Il ne croyait même pas à la matière, loin de lui tout accorder… Ce qu’on appelle matière n’était à ses yeux qu’un assemblage de centres de forces. » Voilà bien l’élément dernier de la matière rapproché autant que possible de la substance immatérielle. — La seconde conséquence de l’atomisme chimique, c’est qu’il individualise les parties constitutives de la matière. Une certaine école rêve encore de nos jours l’absolue identité de toutes les matières : idée séduisante peut-être pour les esprits que domine en toute chose la passion de l’unité, mais simple conjecture aussi longtemps qu’on n’aura pu décomposer et réduire en poussière d’atomes semblables les corps indécomposables jusqu’ici. De toutes les conséquences de la théorie atomique, la plus remarquable, c’est qu’elle tend à restreindre le principe trop absolu de l’inertie de la matière. On répète que la matière, abandonnée à elle-même, est incapable de changer d’état. D’autre part, les chimistes nous disent que les atomes se portent, se lancent, se précipitent vers les atomes pour lesquels ils ont une vive affinité. M. John Tyndall s’approprie et prend à la lettre ce mot poétique d’Émerson : « les atomes marchent en cadence. » N’est-il pas évident qu’une énergie aussi spontanée exclut dans les élémens de la matière l’inertie complète qui en serait la négation ?

Tous les chimistes, dira-t-on, n’ont pas embrassé la cause de l’atomisme. Sans doute ; mais parmi les hérétiques il en est d’éminens qui ont aussi leur idéalisme, quoique moins complet que celui des orthodoxes. Tel est, par exemple, M. Berthelot. Le jeune professeur du Collège de France n’est pas seulement l’un des plus brillans promoteurs de la chimie organique ; c’est encore un penseur. Il a une philosophie à lui qu’il a exposée d’abord dans