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ce je ne sais quoi, que cet inconnu est unique par essence et de plus individuel, c’est-à-dire rigoureusement simple. Certes, connaître cela de l’âme, ce n’est pas n’en rien savoir du tout ; c’est au contraire en dire autant que la science de l’esprit elle-même.

Il nous reste à recueillir une confession d’idéalisme d’une portée plus grande encore. Aussitôt que s’est répandue en Europe la doctrine de l’évolution, renouvelée avec tant d’originalité par M. Darwin, les adversaires de l’idéalisme s’en sont emparés, convaincus que cette hypothèse apportait à leurs opinions une confirmation décisive. Vainement M. Darwin s’était tenu sur la réserve, déclarant qu’il ne s’occupait ni de l’origine des facultés mentales de l’animal, ni du principe qui en est le sujet ; un groupe de ses plus chauds partisans n’a pas tardé à plier ses vues dans le sens des solutions négatives. M. Huxley, éminent professeur à l’Institution royale de Londres, enseigne au nom de la théorie darwinienne que les forces de la nature suffisent à expliquer la formation successive des êtres. D’autres lui font écho ; cependant tous les évolutionistes ne suivent pas cette voie. Déjà en Allemagne on peut citer des sectateurs de la mutabilité des espèces qui se rattachent hautement au spiritualisme, et qui osent même y ajouter quelques développemens imprévus. Tel est M. Schaaffhausen. Au récent congrès des naturalistes et médecins allemande qui s’est réuni à Francfort-sur-le-Mein, ce savant a fait sortir des entrailles mêmes du darwinisme un ensemble de propositions idéalistes dignes au dernier point de l’attention des philosophes.

M. Schauffhausen n’est pas un inconnu. Darwinien avant Darwin, qui le cite parmi ses prédécesseurs, il écrivait dès 1853 des mémoires scientifiques très remarqués en faveur de la mutabilité des espèces. Il s’y montrait plus hardi et à certains égards plus absolu que l’auteur dont la doctrine a pris et a gardé le nom, et depuis il est resté fidèle à ses premières déclarations. A l’en croire, rien ne sépare plus l’animal de la plante, et on a définitivement jeté bas le mur qui se dressait entre le monde primitif et le monde actuel, entre l’homme et la bête. De différences essentielles entre le singe et l’homme, il n’en admet point. Les dents du premier, dit-il, ressemblent à celles du second. Les trois plus nobles organes des sens, le tact, la vue et l’ouie, sont pareils dans l’un et l’autre mammifère. Comme nous, le singe possède les corpuscules du tact, les houppes nerveuses qui rendent la sensation si délicate. Comme l’homme, il a la fovea centralis de l’œil et la tache jaune de la rétine. Enfin, chez le singe, l’os de l’oreille appelé labyrinthe est exactement identique à celui que l’anatomie découvre dans notre appareil auditif. Entre l’intelligence de cet animal et celle de l’homme, la différence n’est nullement fondamentale. Nous le