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accomplissait sa sinistre besogne. Il est certain qu’il y a dans les cages du Jardin des Plantes des animaux plus humains que ces hommes-là.

Les mauvais chemins mènent aux fondrières, disent nos paysans ; les malfaiteurs le savent, et la route qu’ils suivent conduit invariablement à la prison, aux maisons centrales, aux bagnes, aux colonies pénitentiaires, à l’échafaud. Ceux qui, à force d’astuce ou par suite d’une chance particulière, ont réussi à échapper à la police, qui les guette, et à la justice, qui les réclame, sont singulièrement rares, et parmi eux il faut citer un homme qui eut son heure de célébrité il y a vingt-cinq ans environ. Il se nommait Piednoir. Ce n’était point un assassin, il connaissait le code et ne risqua jamais sa tête. Il se contentait de voler avec effraction ou fausses clés ; mais il était passé maître en son art, il déjoua toutes les recherches, et du 10 octobre 1834 au 22 août 1843 il sut échapper aux suites de vingt-un mandats d’arrestation. Il avait d’excellentes manières, menait une vie élégante, et regrettait amèrement d’avoir eu les oreilles percées dans son enfance, ce qui, disait-il, lui donnaît l’air un peu commun. Il employait des voleurs en sous-ordre à préparer une affaire, et lorsqu’elle était suffisamment nourrie, il mettait lui-même la main à la besogne. Le coup terminé, il distribuait les parts en se réservant celle du lion. Aux débats, ses complices montrèrent un dévoûment extrême. Un seul déclara qu’en deux circonstances il avait été en rapport avec lui pour en recevoir des instructions relatives à un crime projeté. La première fois, au coin de la rue Saint-Nicolas ; il fut abordé à onze heures du soir par Piednoir, vêtu en chiffonnier ; la seconde fois, ce fut devant le Café de Paris, où Piednoir allait dîner : le voleur fashionable descendit de son tilbury, et jeta à son complice, vêtu en pauvre, une pièce de deux sous enveloppée d’un morceau de papier sur lequel quelques renseignemens étaient écrits, Piednoir, contumace, fut condamné à vingt ans de travaux forcés. Il a aujourd’hui cinquante-cinq ans, et vit fort à son aise dans une grande ville de Hollande.

Lorsqu’on voit ces gens-là de près, qu’on cause avec eux et qu’on connaît leurs antécédens, on est toujours surpris de leur trouver des visages pareils à ceux des autres hommes. Il semble que tant de vices, tant de pensées toujours mauvaises, devraient modeler les traits d’une certaine manière et leur donner une apparence spéciale qui serait le reflet et l’indice d’une âme absolument pervertie. Il n’en est rien ; la plupart des faces sont, à l’état de repos, vulgaires et sans expression, quelques-unes sont fort douces et plusieurs agréables. Presque tous ces tristes personnages ont l’air misérable et commun ; mais quelques-uns ont une distinction native ou