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intérieurs. ; puis, la nuit close, à cette heure où les Parisiens dorment, où les voitures de place sont remisées, où les rues sont désertes, où le gaz donne une clarté propice, il revient avec des compagnons. Dans le volet souvent doublé de fer, on perce à l’aide d’un vilebrequin une série de trous serrés les uns contre les autres, qui permettent d’enlever une plaque circulaire assez large pour laisser pénétrer un enfant, et juste en face de la serrure, qui est promptement crochetée. Par l’ouverture, on fait glisser un raton, gamin alerte et mince. D’après les indications qui lui ont été minutieusement répétées, il s’empare des marchandises et les passe à ses complices. Parfois, lorsque les objets offrent un certain volume, le raton, une fois entré, ouvre la porte toute grande, fait sauter les clavettes qui ferment les volets, et alors on opère à l’aise ; tout le monde, sauf ceux qui font le guet, met la main au déménagement, qui est bien vite terminé. On charge les dépouilles sur une charrette à bras, et les bandits s’en vont paisiblement comme des commissionnaires attardés. Quelques-uns de ces malandrins ont poussé l’impudence jusqu’à enlever de ces énormes caisses de fer à l’aboi de l’incendie et dont les serrures sont des chefs-d’œuvre. Ils les emportaient dans quelque enclos désert, et les défonçaient à coups de merlin. Ce vol était assez fréquent autrefois à Paris, lorsque les patrouilles, marchant d’un pas sonore et cadencé, annonçaient de loin leur approche et permettaient aux malfaiteurs bien avisés de fuir en temps utile ; mais il est devenu fort rare, grâce aux rondes muettes de sergens de ville qui parcourent les rues à toute heure de nuit et de jour.

Les casseurs de portes, gens violens qui ne reculeraient pas devant l’assassinat, se jettent au milieu de la nuit sur une porte de boutique, la brisent, entrent dans le magasin, font main basse sur tout ce qu’ils rencontrent, et se sauvent avant qu’on ait pu donner l’alerte. Moins brutaux sont les carreurs, Juifs d’origine presque tous, et qui, humbles, polis, élégans même, évitent d’employer les moyens excessifs qui peuvent conduire à d’irrémissibles châtimens. Le carreur est bien mis, il affecte ordinairement un accent étranger, et se présente chez un joaillier pour voir des diamans non montés, ce qu’on appelle des pierres sur papier. On déplie les frêles enveloppes qui renferment parfois plusieurs centaines de brillans. Le carreur est toujours myope. Il examine les pierres avec une attention extrême, de près, de très près, de si près qu’il les touche avec le bout de son nez. Or son nez est enduit de cire vierge, et quelques diamans y restent collés ; ils passent promptement dans la manche du filou. D’autres fois il les enlève d’un coup de langue rapide et précis, ou les retient dans le creux de sa main, garni de