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et excellait à faire le flic-flac, c’est-à-dire à démantibuler la gâche d’une serrure à l’aide du monseigneur. Quand le hasard l’avait conduit dans une chambre pauvre et dénuée, non-seulement il ne commettait pas de vol, mais il laissait des aumônes parfois assez considérables. Ce bon larron n’en fut pas moins condamné à mort et exécuté pour avoir assassiné une jeune fille qui le surprit pendant une de ses opérations familières.

A côté, mais au-dessus du cambrioleur dans cette sinistre hiérarchie, se place le caroubleur, l’homme qui vole à l’aide de fausses clés. Celui-là doit déployer beaucoup de prudence, de patience, d’adresse et de courage. Il faut connaître les habitudes des gens que l’on veut voler, savoir les dispositions générales de leurs appartemens, se procurer avec de la cire l’empreinte des serrures, exécuter soi-même les fausses clés afin d’éviter d’être trahi d’avance, choisir l’heure propice pour faire le coup, et même tuer, si l’on est découvert. La plupart des vols commis dans les caisses, dans les bureaux, chez les agens de change, les notaires, les négocians de quelque importance, sont dus à des caroubleurs. Le plus célèbre fut Coignard, le faux comte Pontis de Saint-Hélène, qui, chef de la légion de la Seine, dans une situation vraiment élevée, lié avec les maréchaux de France, admis à la cour de Louis XVIII, qu’il avait suivi à Gand, continuait à diriger sa bande de voleurs, et profitait de ses relations pour opérer à coup certain. Quelques-uns de ces hommes font preuve d’une hardiesse vraiment inconcevable. On a gardé à la préfecture de police le souvenir d’un nommé Beaumont, qui, vêtu d’un habit noir, orné d’une cravate blanche, portant un volumineux portefeuille sous le bras et prenant les dehors d’un magistrat fort affairé, requiert un soldat au poste de la permanence, le place en sentinelle devant une porte en lui donnant pour consigne de ne laisser entrer personne, pénètre dans le cabinet de M. Henry, chef du service de sûreté, alors absent, carouble toutes les serrures, s’empare du contenu de la caisse, qui renfermait une somme assez ronde, reconduit lui-même le soldat au poste, remercie l’officier de sa complaisance, s’esquive, et écrit le soir à M. Henry pour s’excuser de l’ennui qu’il lui cause. On mit en vain toute la police à ses trousses, et le service de sûreté en fut pour sa courte honte.

Le sorgueur nous reporte au temps de Cartouche et de Mandrin ; il connaît les heures du lever et du coucher de la moucharde (la lune), car il est avant tout l’homme de la sorgue (la nuit). C’est lui qui jadis arrêtait les chaises de poste et les diligences sur les grandes routes, et qui maintenant, forcé de se rabattre sur de plus humbles véhicules, se jette à la tête du cheval attelé à la charrette de