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effroyable invention qu’ils n’ont que trop souvent mise en œuvre. Deux scionneurs réunis avisaient un passant. L’un d’eux lui jetait autour du cou un mouchoir roulé de façon que les deux bouts pendissent sur les épaules, puis, saisissant ces deux bouts avec les mains, il enlevait le patient, dos à dos. Le malheureux à demi étranglé, ne touchant plus terre, se débattait en vain sans pouvoir crier ; l’autre scionneur pendant ce temps visitait les poches, enlevait l’argent, la montre, le portefeuille, en un mot tout ce qu’il pouvait saisir, et d’un coup d’épaule on envoyait la victime dans le canal. Lorsque le scionneur est seul, qu’il se sent le cœur faible et qu’il n’a pas le courage d’attaquer un homme de face, il l’étourdit en le sablant. Il tient à la main une peau d’anguille qu’il a remplie de sable fin, et qui, bien maniée, devient une arme terrible, car elle est à la fois très flexible et très lourde. Un seul coup habilement appliqué jetterait un colosse par terre. Quand l’homme ainsi assommé est dépouillés le scionneur vide sa peau d’anguille et s’éloigne, les mains dans ses poches, n’ayant sur lui aucune arme qui puisse faire soupçonner qu’il est l’auteur du meurtre commis.

J’ai nommé les soldats, les sous-officiers, les capitaines ; voici le chef, le plus redouté, celui dont on envie les hauts faits et la gloire ; voici l’escarpe, l’assassin. Il faut entendre par là, non pas le voleur qui tue par vengeance ou pour supprimer un témoin, mais l’homme qui, par principe, par habitude ou par calcul, tue d’abord et vole ensuite : Jud., Lacenaire, Poulmann, Firon. Ces monstres sont heureusement fort rares, et la plupart de ceux qui ont eu à raconter devant la cour d’assises la longue suite de leurs crimes ont montré une énergie, une volonté, une intelligence qui remplissent de douleur. Il y a chez ces hommes-là certaines facultés morbides du cerveau analogues aux déformations physiques, aux gibbosités monstrueuses qui se produisent pendant la gestation et semblent être une fatalité pesant sur un seul individu. Ces anomalies de l’espèce, on les compte ; elles ont préoccupé à bon droit les savans, les philosophes et les légistes, et de ce problème insondable nul encore n’a réussi à dégager l’inconnue. Dans une affaire d’assassinat suivi de viol et accompli à Saint-Cyr, auprès de Lyon, dans des circonstances horribles, un des accusés affirmait que de sa part il n’y avait eu aucune préméditation, puisqu’il avait été fortuitement invité à suivre les deux principaux coupables au moment même où ils allaient commettre le crime ; il ne mentait pas, et démontrait qu’il n’avait eu ni arme, ni couteau, mais qu’il s’était contenté, tout en marchant, de ramasser une pierre pour aider à tuer les victimes. Et comme le président, frappé de la justesse de l’allégation, lui disait : « Mais pourquoi, sachant que ces hommes vous