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mouvement ; mais on peut prouver par des expériences répétées que la sensation a ses organes distincts des organes de la perception. Ainsi l’ablation des lobes cérébraux fait perdre à l’instant la vue, tandis que l’iris n’en reste pas moins mobile, le nerf optique excitable, la rétine sensible. L’ablation au contraire des tubercules bijumeaux ou quadrijumeaux abolit sur le champ la contractilité des iris, l’action de la rétine et du nerf optique, ce qui permet de conclure en dernière analyse qu’il y a des organes distincts pour les sensations, pour les perceptions, pour les mouvemens. Quant à l’activité instinctive, il y a des raisons de croire qu’elle n’a pas tout à fait le même siège que la volonté, tout en ayant son organe dans la masse encéphalique. Malgré l’expérience de la poule qui a perdu l’instinct de manger, il n’est pas sûr que l’ablation des lobes cérébraux supprime toute espèce de mouvemens instinctifs proprement dits. Où réside au juste l’organe de l’instinct ? C’est ce que l’expérience n’a point encore établi.

Voilà de bien curieuses révélations dues aux récentes méthodes de recherche, et qui éclairent d’une lumière toute nouvelle la question des rapports de l’âme et du corps. Il ne s’agit plus ici d’une action certaine, mais vague, du physique sur le moral, telle que la montraient les observations tirées des états pathologiques du corps humain ; il s’agit des conditions physiologiques de tous les grands faits de la vie psychique, des organes distincts de toutes les fonctions de relation. On savait que certaines de ces fonctions ont besoin d’organes ; on ne savait pas au juste que toutes en eussent besoin, la pensée et la volonté comme la sensibilité et la motilité. Jamais l’unité de l’être humain n’avait été rendue aussi manifeste que depuis ces merveilleuses découvertes. Jamais on n’avait mieux vu combien tout se tient, se lie, se correspond dans l’homme, et comment l’âme et le corps forment un tout naturel, pour nous servir de l’expression de Bossuet.

À cette science nouvelle, un spiritualisme exigeant pourra objecter que c’est l’animal et non l’homme qui est le sujet de toutes ces expériences, et qu’on n’est point en droit de conclure de l’un à l’autre ; mais la science ne s’arrête point devant un pareil scrupule, pensant, avec grande raison, selon nous, que l’expérience ici vaut pour l’homme aussi bien que pour l’animal, en vertu des analogies physiologiques et psychologiques essentielles qui les ramènent tous deux à un type commun. Comment croire en effet que ce qui est vrai pour la sensibilité, l’instinct, l’intelligence, la volonté, la faculté motrice de l’animal, ne l’est point pour les mêmes phénomènes et les mêmes actes chez l’homme ? Comment admettre que le cerveau est l’organe de la perception et de l’intelligence pour l’un et