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rémission toutes les médiocrités. Le gouvernement comprendra qu’il endosse une responsabilité grave en déclassant des tailleurs de belle espérance pour en faire de faux artistes. Toutefois, la liberté des arts ayant droit au même respect que celle du commerce et de l’industrie, tous les citoyens seront maîtres d’étudier la peinture ou la sculpture à leurs frais. L’état se charge d’organiser des expositions annuelles et même permanentes dans un local ad hoc, où l’on ne promènera point les chevaux, où l’on ne vendra point des asperges : cet édifice étant une propriété nationale, tous les artistes sans exception auront le droit d’y exposer leurs produits en nombre illimité, sauf refus motivé du commissaire de police. Seulement, comme une exposition doit servir à l’instruction du peuple, les meilleurs ouvrages seront triés par les artistes eux-mêmes et mis à part dans une ou deux grandes salles. Il est indispensable de séparer le bon grain de l’ivraie ; un chef-d’œuvre ne résiste pas à certain genre de voisinage ; on a d’ailleurs remarqué que les peintres forcent leur talent pour se faire remarquer dans la cohue des expositions actuelles, comme un ténor force sa voix pour dominer le tapage d’un chœur mal écrit. Tous les quatre ou cinq ans, une exposition spéciale, solennelle et choisie réunira les œuvres qui auront eu le plus de succès dans la période précédente. Ainsi sera vérifié le discours du haut personnage qui, confondant sans doute le présent et l’avenir, disait l’année dernière aux artistes français : « Grâce à l’heureuse innovation des expositions annuelles, un contact permanent a été établi entre vous et le public, et par une sorte de juridiction privilégiée vous pouvez paraître à votre jour et à votre heure devant vos juges naturels. » Dans l’état présent des affaires, il est difficile d’admettre que sept semaines d’exposition par année établissent un contact permanent entre le public et les artistes. Votre jour et votre heure signifient sans doute le jour et l’heure de l’administration, qui refuse les moindres délais aux retardataires, et quant à la juridiction privilégiée, on se demande en quoi les exposans sont plus favorisés, par exemple, qu’un écrivain qui publie trois volumes par an, si bon lui semble, quand bon lui semble, sans l’autorisation préalable d’aucun jury. Les usages qui régissent la publication des œuvres d’art ne seraient pas tolérés quinze jours en littérature.

Je n’accuse personne d’avoir créé un état de choses qui n’est ni bon ni logique. Le blâme se répartit sur tant de têtes que chaque individu peut se croire blanc comme neige. Le passé est complice du présent, les victimes elles-mêmes ont contribué à leur propre malheur. Il est certain que nos artistes seraient les plus indépendans du monde, s’ils avaient su et voulu prendre en main leurs