Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/754

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couleur et de cuisine. L’homme qui fixe sur la toile une impression, un aspect de la campagne, un effet de soleil, de brouillard ou de lune, obtiendra son brevet de paysagiste haut la main, s’il est coloriste passable et cuisinier excellent. Il importe que la facture de son tableau satisfasse les experts ; quant au dessin, il n’en est plus question depuis une vingtaine d’années ; je me ferais lapider, si j’imprimais ici que tous les peintres sans exception devraient débuter longuement et patiemment par l’étude du nu. Donc laissons les paysagistes en dehors de l’enseignement classique, et disons qu’un dessinateur assez savant pour attaquer la figure humaine dans ses proportions naturelles est peintre d’histoire, qu’un artiste assez habile pour la représenter en petit, sans fautes d’orthographe trop scandaleuses, est peintre de genre, et que l’art du portrait se place entre le genre et l’histoire, étant un peu plus difficile que l’un et infiniment plus facile que l’autre.

Une Vénus mal modelée, un Ganymède mal bâti, sont choses intolérables ; ni le charme de la couleur ni le mérite de la composition ne sauraient racheter les défauts de la forme dans le grand art, où la forme est tout. Il est des accommodemens avec la peinture de genre ; la figure y tient moins de place, elle y a moins d’importance, elle y est généralement vêtue, et l’habit économise les trois quarts du dessin. Un portrait de dimension naturelle tient au grand art par la tête et les mains, au genre par tout le reste. Ajoutez qu’une tête est plus facile à dessiner qu’un torse, et la physionomie, ce vêtement impalpable de la face humaine, favorise souvent l’escamotage du modelé. Qu’un portrait soit frappant, vivant, brillant, d’une couleur heureuse et fraîche, le spectateur se contente à ce prix, sans chicaner l’artiste sur l’à-peu-près et le lâché du dessin. La postérité y fera plus de façons, elle enverra au grenier les portraits simplement agréables, ou, s’ils représentent un homme célèbre, elle les cataloguera au bureau des renseignement mais qui est-ce qui pense à la postérité parmi nous ? L’important n’est-il pas de plaire aux contemporains et de faire fortune ? Si le public est admis à comparer un portrait amusant, vif, frais, lestement enlevé, couvert encore du duvet de la pêche, et une œuvre savante, étudiée, creusée à fond, fatiguée au besoin par l’obstination de l’homme qui sacrifie les agrémens futiles aux mérites solides, tous les éloges sont acquis d’avance au talent superficiel.

Plusieurs peintres d’histoire ont exposé des portraits, et rien que des portraits cette année ; M. Baudry en a un, M. Lehmann, M. Cabanel et M. Giacomotti chacun deux. M. Jules Lefebvre n’a pas eu le temps d’achever une vaste décoration qui aurait confirmé, je le crois, son succès de l’année dernière ; il ne nous montre qu’un