Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/756

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

telle quelle, lui présentait une surface modelée ; il a voulu l’interpréter à fond, sans rien omettre ; il a manié, remanié, retouché son œuvre à outrance, soutenu et peut-être même aveuglé dans ce travail ingrat par l’espérance d’atteindre au vrai dessin, et la recherche des mérites supérieurs lui a fait sacrifier les secondaires. Rien ne vivra en peinture que ce qui est dessiné, comme rien ne durera dans les lettres que ce qui est écrit ; mais l’écrivain pourrait-il remanier incessamment son style sans lui ôter la jeunesse et la fraîcheur ? Non ; ce n’est pas en vain qu’on reproche à certains écrits de sentir l’huile. La même loi se vérifie en peinture, et souvent une œuvre magistrale se flétrit, s’ardoise et s’attriste en raison de l’effort qu’on y dépense. M. Lehmann a tort lorsqu’il efface le charme et le velouté d’un portrait ; mais il y laisse des qualités du plus haut prix qu’il ne faudrait pas méconnaître. Si vous mettiez son baron Haussmann en parallèle avec une de ces œuvres faciles qui ont la beauté du diable et rien de plus, il répondrait probablement : Mais mon baron Haussmann a été aussi frais et aussi riant que cela ; il ne tenait qu’à moi de le laisser à l’état d’ébauche. Son portrait de M. Pelletier prouve qu’il n’a pas tort de poursuivre le beau dessin à tout prix ; ici, non-seulement les qualités supérieures ont répondu à l’appel ; mais le succès, qui est entier, n’a coûté aucun sacrifice.

M. Edouard Dubufe, après avoir été longtemps le peintre agréable et brillant de nos belles contemporaines, s’est mis un jour en tête de prouver qu’il pouvait mieux faire, et que deux hommes ne lui faisaient pas peur. Le succès l’a suivi dans cette nouvelle carrière, et il y a gagné un redoublement d’estime. Peu d’artistes en notre temps sont capables de quitter le certain pour l’incertain, de recommencer un début à l’âge où les lauriers deviennent un oreiller commode. Les portraits d’homme que M. Dubufe nous présente aujourd’hui sont traités d’une main sûre. Si l’individualité de l’artiste y est moins fortement accusée que celle des modèles, les œuvres n’en ont pas moins une valeur incontestable ; les qualités du dessinateur et du peintre s’y combinent à moyenne dose dans une excellente proportion.

Il y a moins de savoir et de goût dans le portrait de M. Lenepveu, par M. Machard, mais les défauts de la jeunesse y sont couverts par un débordement de qualités jeunes et brillantes. Malheureusement la couleur un peu étuvée ne répond pas à la fougue du dessin. Chez M. Carolus Duran, la couleur étincelle, pétille, éclate. C’est un feu d’artifice que le portrait de Mme D. La figure en pied est d’un aspect noble et d’un mouvement très distingué ; le morceau principal, la tête, n’est pas suffisamment dessiné. La robe, le gant, tous les détails qui relèvent de la nature morte, sont