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hypothétique qu’expérimentale, n’est propre ni à M. Lhuys, ni à M. Vulpian, ni aux physiologistes de la même école ; c’est la méthode de presque tous les physiologistes, tant est grande l’influence des études spéciales sur la direction de la pensée. M. Claude Bernard, si judicieux et si réservé d’ailleurs, n’a-t-il pas dit quelque part : « Malgré leur nature merveilleuse et la délicatesse de leurs manifestations, il est impossible, selon moi, de ne pas faire rentrer les phénomènes cérébraux (il entend pyschologiques) comme tous les autres phénomènes des corps vivans dans les lois d’un déterminisme scientifique[1]. »

Assurément tous les physiologistes n’ont pas, comme MM. Vulpian et Lhuys, embrassé dans une doctrine, générale l’ensemble des phénomènes de la vie psychique ; mais presque tous, même les moins disposés en faveur des idées matérialistes, appliquent ce que nous appelons la méthode physiologique aux diverses questions de psychologie particulière, comme le libre arbitre, la moralité, la folie, le génie, l’éducation. Sur le libre arbitre, l’exact M. Littré nous dira que « les motifs ont sur la volonté humaine la même puissance que les causes pathologiques sur le corps humain[2]. » Et pourquoi ? Parce que la méthode statistique établit que la moralité et l’immoralité suivent une loi fixe dans leur développement. M. Stuart Mill explique comment les volitions sont consécutives à des antécédens moraux avec l’a même uniformité et, quand nous avons une connaissance suffisante des circonstances, avec la même certitude, que les effets physiques sont consécutifs à leurs causes physiques ; mais, tandis que M. Stuart Mill n’invoque contre le libre arbitre qu’une certaine expérience psychologique, M. Littré y ajoute une explication physiologique. « L’obscure impression du besoin de se mouvoir inhérent au système musculaire est transformée par les cellules cérébrales en volonté, qui ensuite, au gré de l’éducation tant privée que sociale, prend toutes les complications intellectuelles et morales. Cela étant, il apparaît que la volonté n’est pas un libre arbitre, je veux dire qu’elle ne renferme rien par quoi elle puisse se déterminer elle-même. A quoi obéit-elle donc ? A l’instinct, au désir, à la raison ?… La prévalence du plus fort motif, établie par la régularité dès actions humaines dans le cours ordinaire de la vie et par les statistiques morales dans les conditions exceptionnelles, l’est aussi par l’analyse physiologique[3]. »

Avec une pareille doctrine, les mots de responsabilité, de mérite et de démérite n’ont plus de sens. L’homme, n’ayant pas la liberté

  1. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, p. 158,
  2. Revue de philosophie positive, 1er septembre 1868.
  3. Ibid.