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négatif, et, si nous voulions chercher les causes de ces crians phénomènes de notre vie présente, nous serions bientôt conduits à voir que le gouvernement n’y est point étranger. Il a contribué à tout ce qui arrive non-seulement par ces fautes ou ces malheurs dont les grands pouvoirs responsables portent nécessairement le poids, mais encore par une politique de réparations incomplètes, de concessions mal coordonnées ; il n’a pas vu que, dans un système de réformes libérales comme celui dont il a pris l’initiative depuis quelques années, tout se tient, qu’après des déceptions de plus d’un genre donner à l’esprit de critique des armes nouvelles par la loi sur les réunions, par la loi sur la presse, sans régulariser en même temps l’intervention directe, efficace, complète, du pays dans la marche des affaires, c’était organiser la guerre pour la guerre, c’était condamner les manifestations publiques à prendre justement ce caractère négatif dont nous parlions, à devenir d’autant plus violentes qu’elles n’étaient que l’évaporation stérile de mécontentemens aigris et accumulés. Le vote du 24 mai n’a été qu’une de ces évaporations, un de ces déchaînemens d’opinion provoqués par les erreurs d’une politique contre laquelle on a une occasion de protester sans avoir les moyens réguliers, permanens, de peser sur ses déterminations. Comme protestation sortie du trouble des esprits, les élections de Paris ont une valeur, elles sont un symptôme ; comme politique, comme programme d’une situation, elles ne disent rien ou elles disent trop, ce qui est à peu près la même chose ; elles dépassent la mesure de ce qui est dans l’instinct public, et c’est là précisément le piège, le danger, pour les élus du 24 mai, de se trouver placés dans l’alternative de tromper les ardeurs dont ils ont l’air d’être les mandataires, ou de se jeter en avant sans être suivis. Avec leur bruyante impétuosité, ils nous rappellent ce que disait un jour l’humoriste espagnol Larra de ses jeunes compatriotes arrivant dans la politique à l’époque de la révolution de 1834, l’esprit tout plein de chimères passionnées et d’idées vagues. Larra comparait ces hommes à des chevaux fougueux qui sont attelés à un char pesant et qui s’élancent impatiemment, comme s’ils n’avaient à entraîner qu’une voiture légère ; les traits cassent, les chevaux partent seuls, et vont se jeter on ne sait où, dans quelque fondrière prochaine. Le char cependant est resté immobile, il a peut-être reculé au lieu d’avancer. Cela s’est vu qu’on faisait reculer le char au lieu de le faire avancer.

Une chose étrange, toujours vieille et toujours nouvelle, c’est combien les partis apprennent peu. Ils se croient jeunes quelquefois, ils ne sont que présomptueux et imprévoyans. Ils traînent à travers le mouvement des choses leurs éternelles banalités et leurs passions invariables. Ce qu’ils ont fait, ils le referont ; ce qu’ils ont dit, ils le répètent sans cesse, et ils l’appliquent à toutes les situations, sans s’apercevoir que le monde tourne, que les besoins changent, que la politique consiste précisément