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soins avec un empressement touchant. Après l’avoir plaint, ils finirent par l’aimer, et l’on verra que plus d’une fois il leur dut presque la vie. L’escorte était commandée par deux jeunes officiers constantinopolitains qui, loin de trouver mauvais les procédés obligeans de leurs soldats, entouraient eux-mêmes l’exilé d’une sollicitude respectueuse. Ils se nommaient Anatolius et Theodorus, et étaient de familles et d’éducation distinguées. Chrysostome les mentionne avec éloge dans ses lettres. Grâce à leur tolérance, le prisonnier pouvait communiquer sur la route avec des prêtres ses partisans qui lui apportaient des nouvelles, écrire des lettres et en recevoir. Ce fut une grande consolation pour cet homme qu’une séquestration complète eût fait bientôt mourir.

Où le conduisait-on ? Quel serait le lieu de son exil ? Il ne le savait pas, et ses gardiens ne le savaient pas plus que lui. Ils devaient trouver à Nicée le rescrit impérial qui fixerait le sort de l’exilé. Un bruit recueilli sur la route indiqua d’abord la Scythie-Pontique, province extrême de l’empire romain, du côté du Caucase, et plutôt une terre barbare qu’une contrée romaine ; puis heureusement ce bruit tomba, et l’on parla avec persistance de l’Arménie, dont Chrysostome prenait en effet la direction en s’approchant de Nicée. Cette nouvelle paraissant probable, il s’empressa d’écrire à sa chère diaconesse Olympias que, si le fait était vrai, elle lui fît obtenir pour résidence l’Arménie supérieure et sa métropole Sébaste, ville importante, en communication avec les principales cités de l’Orient, et qui présentait d’ailleurs toutes les ressources désirables pour les besoins de la vie. « Elle obtiendrait aisément cette faveur, lui disait-il, par l’intermédiaire d’un évêque de leurs amis, nommé Cyriacus, comme celui qui était maintenant détenu à Chalcédoine ; il y ajoutait d’autres personnages sur lesquels il comptait aussi beaucoup, tels que l’eunuque Brison, premier chambellan de l’impératrice, mais resté en sympathie de cœur avec lui, Péanius, homme important qui avait l’oreille des grands, et surtout un riche Arménien de Sébaste nommé Arabius, dont la femme était liée d’une amitié étroite avec la diaconesse, sa chère et pieuse fille. » Nous verrons plus tard ce qu’il advint de ces recommandations. Chrysostome, dévoré de soucis et grelottant du froid de la fièvre, atteignit au bout de dix jours de marche environ la ville de Nicée.

Tandis que l’archevêque s’acheminait vers cette première halte de son exil, les agens de l’enquête judiciaire à Constantinople faisaient main basse sur ses amis, évêques, prêtres ou diacres, qui allaient garnir l’un après l’autre les prisons de la ville ; on poursuivait jusqu’à des femmes. Il paraît que malgré ces rigueurs le préfet Studius, qui les ordonnait, devint suspect à la cour, peut-être à cause d’une certaine modération dans les formes ou de ménagemens