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transformant sa maison en laboratoire de drogues, qu’elle distribuait aux indigens malades, et que la plupart du temps elle leur portait elle-même. Elle devint bientôt le médecin de tout le peuple de Constantinople, qui disait avec une naïve confiance : « Les remèdes de Nicarète guérissent toujours. » La vie obscure où se confinait la noble femme n’avait point effacé chez elle les dons de l’esprit et ceux du savoir ; un historien ecclésiastique qui la connut nous dit que sa conversation était grave, élevée, nourrie des préceptes de la divine philosophie où elle avait puisé le goût de la retraite. Plus d’une fois on voulut la faire entrer dans l’église, soit comme diaconesse, soit comme supérieure de quelque congrégation de filles ; elle refusa obstinément, repoussant jusqu’aux vives instances de Chrysostome. La charité, cachée entre elle, les pauvres et Dieu, c’était la vocation qu’elle s’était donnée. Le préfet Optatus eut l’affreux courage d’aller chercher cette sainte fille dans sa retraite pour la forcer de renier son archevêque légitime et de communiquer avec l’intrus ; il eut un courage plus affreux encore, celui de punir son refus d’une forte amende. C’était confisquer le pain des pauvres. Nicarète ruinée sut encore être charitable : elle se fit une vie en commun avec ses servantes, mangeant, se vêtant comme elles, et à force d’économies sur elle-même elle trouva le moyen de guérir toujours des malades et de nourrir des gens qui mouraient de faim. Sa charité finit par sembler trop factieuse, et les ennemis de Chrysostome la firent exiler en Bithynie.

Ces événemens se passaient à l’insu de Chrysostome, tandis qu’on le traînait d’étape en étape aux extrémités de l’empire. L’absence de communications avec ses amis, l’incertitude et l’irrégularité de la correspondance furent pour lui peut-être le plus insupportable des maux de l’exil. Il ne savait que par ouï-dire, le long de sa route, ce qui lui importait le plus, le sort de son église, celui de ses frères, le sien propre, et lorsque les faits parvenaient à sa connaissance par des lettres, ils étaient consommés, irrévocables, ou venaient le frapper à l’improviste comme des coups de foudre. Avec un esprit tel que le sien, c’était le supplice de mille morts. Le bruit lui étant arrivé, entre Chalcédoine et Nicée, qu’on s’occupait à Constantinople de son remplacement, il s’était hâté de mander à Olympias qu’elle employât tout pour empêcher une élection qui ne pouvait qu’être funeste dans les circonstances présentes. « Si cette élection se fait, lui écrivait-il, il se passera deux choses non moins affligeantes pour moi que pernicieuses pour l’église. D’abord celui qu’on me donnera pour successeur sera choisi par des hommes qui n’en ont pas le droit, et que l’église connaît déjà pour ses persécuteurs ; ensuite il est évident que ces gens-là n’ont pas le dessein de faire un bon choix. Or qui peut prévoir, au milieu du trouble des