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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


vers Césarée de Cappadoce ; mais, sur le point de quitter Nicée, il adressa à sa chère fille Olympias cette lettre charmante, où il veut la rassurer sur la disposition de son âme et sur sa santé :

« À mesure qu’augmentent nos épreuves, nos consolations augmentent aussi, et nous concevons de plus riantes espérances pour l’avenir ; tout maintenant semble nous venir à souhait, nous naviguons le vent en poupe. Qui l’a vu ? qui l’a entendu ? Des roches et des récifs cachés sous l’eau, des tourbillons et des courans qui se choquent avec bruit, une nuit sans lune, un brouillard épais, des précipices, des écueils,…. et pourtant, sillonnant de notre navire une pareille mer, nous n’y sommes pas plus mal que ceux qui se balancent mollement dans le port. Méditez sur ces choses de votre côté, ma très religieuse dame, élevez-vous au-dessus de ces tumultes et de ce fracas, et informez-moi de votre santé ; je vous en prie. Quant à nous, nous sommes vraiment bien et même joyeux, car notre corps a gagné des forces, et l’air que nous respirons est pur… Une seule chose nous manque, c’est d’apprendre avec certitude que votre santé n’a point souffert ; faites en sorte que je le sache, afin que j’obtienne encore cette joie et que je puisse en reporter la reconnaissance sur mon seigneur et très doux fils Pergamius. Si vous voulez bien nous écrire, confiez-lui vos lettres, car c’est un ami sûr qui nous est sincèrement attaché et qui révère plus que personne vos vertus et votre piété. »

La route de Nicée à Cucuse par Césarée, seconde halte du voyage, traversait la Phrygie et une partie de la Cappadoce. Au sortir de Nicée et à quelque distance de cette ville, elle longeait le fleuve Sangarius, en remontait le cours, et pénétrait avec lui dans les deux provinces phrygiennes appelées Galaties. Dans le voisinage du fleuve, le pays, quoique pauvre, était habitable ; mais quand on se jetait dans l’intérieur, on ne trouvait que des plaines sans fin, d’une terre noire et bitumineuse qui ressemblait à de la cendre, et produisait pour tout fruit de sèches et maigres prairies. Le voyageur n’y rencontrait que de rares habitations et d’immenses troupeaux de moutons d’une laine âpre et courte qui parcouraient la campagne sous la conduite de quelques bergers. Comme l’itinéraire de l’escorte lui prescrivait d’éviter les villes, elle ne s’arrêtait guère que dans des villages où on trouvait pour toute nourriture du pain dur et moisi qu’il fallait faire détremper dans l’eau ; encore cette eau, tirée de puits profonds, était-elle saumâtre, nauséabonde, et plus propre à provoquer la soif qu’à l’éteindre. Quant aux bains dont Chrysostome avait besoin, on eut toutes les peines du monde à les lui procurer. Pendant la route, sa souffrance devint extrême, et la fièvre le reprit pour ne plus le quitter ; ils avaient sur leur tête un soleil torride, sous les pieds une poussière presque aussi chaude, et