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sostome reprit enfin ses sens, et, soutenu ou plutôt traîné par les mains du prêtre, il essaya de marcher, c’est-à-dire, suivant son expression, « de ramper, » car ils ne savaient tous deux où mettre le pied et ne voyaient pas où ils allaient. Chrysostome, découragé, voulait retourner à la ville, où ses compagnons et lui, répétait-il, ne trouveraient pas plus de souffrances qu’ils n’en pouvaient redouter chez les Isaures ; on le calma, et il finit par remonter dans sa litière. Les Isaures ne parurent point, et le convoi continua son voyage de cinquante lieues à travers les pentes abruptes, les précipices et les torrens, péniblement sans doute, mais sans aventure qu’on ait jugé digne d’être mentionnée. Chrysostome atteignit de cette façon Gueuse, soixante-dix jours après avoir quitté Constantinople. Pharetrius triomphait donc ! Il pouvait écrire à la cour que les saints moines des couvens de Césarée, ne pouvant soutenir la vue d’un ennemi de l’impératrice, avaient chassé l’exilé de leur ville, l’obligeant de fuir au milieu de la nuit. Il espérait pouvoir ajouter prochainement que la main de Dieu, pour le complet châtiment de ses crimes, avait conduit Jean sous la main des Isaures, qui l’avaient tué ou emmené captif dans leurs cavernes. L’impératrice sans doute reconnaîtrait les services d’un évêque qui l’avait délivrée de l’ombre même de son ennemi.

L’image de cette nuit funèbre resta gravée en traits effrayans dans l’imagination de Chrysostome. Il n’aimait point à en parler, et, quand il s’y voyait contraint, il ne le faisait qu’avec une réserve qui décelait encore l’épouvante. Dans les épanchemens intimes de l’amitié, il en envoya le récit à Olympias, et c’est ce récit que nous avons suivi ; mais en même temps il recommandait à sa très chère et très pieuse diaconesse de garder tout cela pour elle seule, bien que les soldats de l’escorte pussent en remplir la ville entière de Constantinople, puisqu’ils avaient eux-mêmes couru les plus grands dangers. « Qu’il fassent ce qu’ils voudront, ajoutait-il, cela ne me regarde pas ; je désire seulement qu’on n’apprenne pas ces choses de vous, et que vous imposiez même silence à ceux qui voudraient vous en parler. » Il donne de sa réserve un motif plein de charité, à savoir que le clergé de Césarée l’avait traité généralement avec affection, et que, plusieurs membres de ce clergé se trouvant actuellement à Constantinople, on ne manquerait pas de les rendre responsables en quelque sorte du crime de leur évêque, ce qui serait injuste de tout point. Il allait même jusqu’à atténuer la légitime indignation que méritait la conduite de ce dernier, se rejetant sur la faiblesse de son caractère et sur la jalousie qu’avait dû lui causer l’accueil chaleureux des habitans de Césarée et de ses prêtres mêmes pour l’exilé. Il lui échappe cependant, dans