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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


ques écrivains religieux vont même jusqu’à louer sa douceur, comme si l’on pouvait donner le nom d’une vertu à la mollesse et à l’inertie égoïstes. Antiochus et ses collègues avaient imaginé un plan qui devait leur soumettre tous les évêques de l’Orient au moyen d’un triumvirat des patriarches d’Alexandrie, d’Antioche, de Constantinople, auquel l’empereur attribuerait tout pouvoir sur les autres églises, et Arcadius y avait consenti. L’exécution de ce plan, enveloppant dans de même réseau les joannites de toutes les provinces, le schisme, lui disaient-ils, sera sûrement étouffé. Quand il fallut se mettre à l’œuvre avec un homme aussi mou qu’Arsace, les cabaleurs y renoncèrent pour la reprendre en temps plus favorable, ainsi que nous le verrons bientôt. Arsace se trouva donc en butte à une double attaque de la part des joannites et de celle des anti-joannites. Si les premiers prétendaient qu’il avait la faconde d’un poisson et la chaleur oratoire d’une grenouille, comme après tout le poisson, qui ne parle pas, s’agite et nage, les seconds le qualifièrent, d’après leur rancune, de vieux tronc pourri et de soliveau.

Il se passa pourtant sous l’épiscopat de ce soliveau un événement considérable ; l’impératrice mourut le 6 octobre, trois mois et demi après l’expulsion de Chrysostome ; elle rendit l’âme au milieu d’inexprimables douleurs, en accouchant d’un enfant mort. On raconta que l’enfant avait déjà cessé de vivre depuis trois jours, et tombait en putréfaction sans qu’aucun art humain pût délivrer la mère, lorsque par une inspiration désespérée celle-ci fit appel aux remèdes surnaturels. Un magicien mandé au palais lui apposa sur le ventre certains caractères magiques dont l’effet fut, dit-on, de faire sortir l’enfant ; mais la mère mourut à l’instant même. Quatre mois plus tôt, cet événement aurait remué tout l’empire et changé peut-être la face de l’église d’Orient. Aujourd’hui que les faits étaient consommés, Chrysostome en exil, ses ennemis maîtres de toutes les positions ecclésiastiques, l’émotion générale fut à peine sensible. Les évêques de cour la regrettèrent, et son mari seul la pleura. Le faible Arcadius, habitué à porter son joug, ne pouvait se faire à l’idée de n’être plus mené ; mais il trouva dans son entourage d’autres tyrans qui surent continuer les traditions d’Eudoxie.

Dans le parti joannite, cette mort si imprévue, si rapprochée du départ de Jean et marquée d’un cachet si tragique, fut regardée comme un châtiment de Dieu. Un concours bizarre d’autres événemens qui semblaient se rattacher à celui-ci par le lien d’une cause commune servit à donner à tout ce qui se passait une apparence de fatalité ou de justice divine. Beaucoup de ceux qui avaient poursuivi Chrysostome ou l’avaient condamné furent frappés de morts