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ou de maladies étranges dans l’espace de quelques mois. Les joannites aimaient à récapituler ces faits comme une preuve de la sainteté de leur cause, et les autres ne les entendaient pas sans une secrète terreur. Palladius, le biographe et l’ami de Chrysostome, leur a consacré un long passage de ses Dialogues, et l’histoire ecclésiastique ne craint pas de leur reconnaître un caractère surhumain. Ainsi un des évêques, juge impitoyable de l’exilé au concile de Constantinople, se tuait raide quelque temps après en tombant de cheval ; un autre, atteint d’une hydropisie purulente, était dévoré tout vivant par les vers ; un troisième, malade d’un érysipèle de mauvaise nature, rendit l’âme au milieu d’épouvantables démangeaisons ; un autre, accusateur et calomniateur de Jean, éprouva une telle enflure de la langue qu’il ne pouvait respirer qu’à grand’peine, et avant d’être entièrement suffoqué il écrivit sur ses tablettes, pour que tout le monde le sût, qu’il subissait la peine de son crime. Il y eut encore divers accidens de ce genre dont la superstition tira parti. Le plus grave sans contredit fut la mort de Cyrinus de Chalcédoine. Cet évêque, comme on l’a vu, s’était montré ennemi acharné de Chrysostome avant même que la persécution ne fût commencée. Égyptien et créature de Théophile, on eût dit qu’il respirait toutes les passions du patriarche d’Alexandrie. Dans un conciliabule qu’il tenait chez lui avec quelques autres évêques antérieurement au synode du Chêne, cet homme, très violent dans son allure et très agité en ce moment, s’était choqué contre Maruthas, évêque de Mésopotamie, qui l’avait blessé grièvement en lui marchant sur le pied. La plaie s’envenima malgré tous les remèdes, mais n’empêcha pas le patient de venir cabaler contre Jean au concile de Constantinople ; il fut même un des quatre ou cinq évêques qui prirent sur leur tête, pour rassurer l’empereur, la responsabilité de sa déposition. Après le concile, Cyrinus alla de plus mal en plus mal : la gangrène se mit à son pied, qu’il fallut couper, puis à la jambe, qu’il fallut couper aussi, puis à l’autre pied, tant son humeur et ses chairs étaient corrompues. Le second pied ayant été retranché comme l’autre, la gangrène gagna les intestins, et Cyrinus expira dans d’effroyables tortures. « Voilà, s’écriaient les joannites et même beaucoup de gens d’un esprit moins exalté, voilà la responsabilité qu’avait appelée sur lui Cyrinus ! »

L’imagination de l’empereur ne fut pas la dernière, comme on le pense bien, à s’émouvoir de ces rapprochemens ; une suite de fléaux naturels dont Constantinople fut accablée sur ces entrefaites acheva de l’épouvanter. La ville fut ébranlée à plusieurs reprises par des tremblemens de terre tellement violens que les chroniqueurs ont cru devoir leur donner place dans leurs livres. En même