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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


ser en Syrie sans paraître s’en émouvoir ; Atticus, plus habile, fit succéder à des exécutions capricieuses une persécution savante, réglée, systématique, et la même méthode fut appliquée dans toute l’étendue de l’empire d’Orient. D’abord un second décret impérial fut rendu qui, en renouvelant les dispositions pénales du premier, substituait le nom d’Atticus à celui d’Arsace ; on procéda ensuite à une épuration générale des évêques et des clergés, diocèse par diocèse, chaque patriarche présidant aux opérations dans sa circonscription territoriale. Les évêques convaincus d’être de la communion joannite furent déposés, renvoyés de leurs églises, livrés à la justice séculière comme des coupables. Ceux que l’on ne faisait que soupçonner d’être fauteurs de l’archevêque Jean, ou qui, sans refuser de communiquer avec les patriarches du triumvirat, conservaient cependant des liens avec les joannites, étaient transférés dans d’autres diocèses, et la bassesse ne les sauvait pas toujours. On reléguait des évêques de Syrie, de Cappadoce, de l’Asie proconsulaire, sur des siéges situés en Thrace ou dans le Pont, et réciproquement. Ces translations s’appliquèrent même aux moines : on faisait passer ces solitaires d’une région de l’empire dans une autre, et pour des enfans du désert c’était souvent la mort. Des évêques déposés, les uns, ceux qu’on redoutait le plus, étaient incarcérés, bannis, mis sous une surveillance plus cruelle que celle des geôliers des prisons civiles, sous la surveillance des patriarches leurs ennemis. D’autres étaient traités avec plus de ménagemens : on se contentait de les ruiner par la confiscation de leurs biens, puis on leur disait de subsister comme ils pourraient. Dans ce nombre, les uns eurent recours à la charité des fidèles ; de nobles âmes les vêtaient et les nourrissaient, et on cite un évêque déposé qui, reçu secrètement chez un de ses collègues, y fut trois ans sans descendre les degrés de sa chambre, tant il craignait de compromettre son hôte. D’autres prirent des métiers pour vivre du travail de leurs mains ; l’évêque Brison, frère de Palladius d’Hellénopolis, cultiva lui-même un petit champ qu’il possédait ; un évêque de Troade acheta une barque, et vécut, sur les côtes de la mer Égée, du produit de sa pêche ; à l’inverse de Pierre, qui de pêcheur de poissons s’était fait pêcheur d’hommes, de pêcheur d’hommes il se fit pêcheur de poissons. Au milieu de cette misère qui affligeait les catholiques d’Orient, beaucoup cherchaient à se réfugier en Occident ; mais le passage de la mer n’était pas facile, et souvent on les arrêtait sur leur route. Un diacre et un prêtre envoyés par Chrysostome, de son exil de Cucuse, pour remettre une lettre au pape Innocent, cherchèrent longtemps sur la côte d’Asie une occasion de s’embarquer, et ils disparurent avec leur lettre.