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réprimées, par la police régulière quand elle était présente, par une police volontaire à défaut d’autres agens. Tout passant, tout témoin devenait un constable, et la foule, bientôt grossie, contenait les insulteurs. Les poings entraient-ils en jeu, la partie s’engageait aisément et de préférence devant le palais électoral, plaisamment nommé le temple d’Héraclée. C’est ainsi que vers les derniers jours de mars les rixes partielles prirent le caractère d’une manifestation sérieuse. On en vint aux mains avec assez d’acharnement pour que l’autorité mit sur pied toutes ses forces disponibles. Quelques meneurs avaient été arrêtés ; le cri public demandait qu’on maintînt leur arrestation. On était las de ces alertes. Le conseil d’état les fît relâcher. Dès ce moment, la population ne prit plus conseil que d’elle-même.

Le lendemain, 31 mars, dès que le jour se fit, un court placard parut sur tous les murs de la ville. Point de signature, point d’indication d’origine, point de phrases non plus ; un simple avis, un rendez-vous facultatif, n’excluant et ne désignant personne. Il y était dit que « les citoyens genevois qui voulaient travailler libres et être maîtres chez eux étaient invités à se réunir au palais électoral à une heure et demie. » Cet appel anonyme répondait si bien à la disposition des esprits, qu’on l’accueillit comme une délivrance. A l’heure assignée, quatre mille citoyens étaient réunis au lieu désigné. Pas un qui se méprît sur le sens de la convocation ; les regards, en s’interrogeant, rencontraient la même pensée ; il y avait dans l’air le même frémissement. Nul besoin de préliminaires oiseux et de longs discours ; quelques paroles seulement comme celles que prononcèrent MM. Wessel et Duchosal. « Il est temps d’en finir, dirent-ils, avec les abus de mots. On nous parle depuis huit jours d’un travailleur imaginaire qu’on prétend opposer à un bourgeois imaginaire. Travailleurs, nous le sommes tous à notre manière ; bourgeois, nous le sommes tous au même titre, bourgeois ou citoyens, ce qui est tout un. Un ouvrier est un bourgeois comme nous, dût-il s’en défendre : il a les mêmes droits, mais il a aussi les mêmes devoirs, qui sont de ne pas troubler l’ordre et de respecter la loi. » Là-dessus lecture fut donnée d’une adresse au conseil d’état qui fut adoptée par acclamation. On l’invitait à surveiller de près et à châtier au besoin les hommes qui, sans mandat reconnu, imposaient à une partie de la population des ordres obligatoires ; on lui demandait de proclamer, dans un rappel des principes élémentaires, la liberté du travail et la protection du travailleur ; on lui promettait enfin l’appui unanime des citoyens. La pièce une fois votée, la réunion se porta tout entière à l’hôtel de ville pour en assurer l’effet immédiat. Ce long défilé était plus qu’un