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s’inspirait à des sources autorisées ; dès qu’il a voulu agir à sa guise, on l’a cassé aux gages, et comme les plus candides de ses membres persistaient dans leurs prétentions à l’indépendance, on les a condamnés comme affiliés à une société secrète, ceux qui avaient conduit leurs opérations en plein soleil. Ainsi disparaissent de notre sol, comme par un coup de baguette, les singularités qui offusquent ou qui nuisent. On veut bien qu’elles germent, pourvu qu’elles ne fleurissent pas. En Belgique, les chances sont meilleures ; aussi l’Association internationale a-t-elle multiplié ses rejetons. Ils étaient en nombre au congrès de Bruxelles, où les auditeurs n’ont eu de choix qu’entre les méthodes pour mettre à sac la propriété ; l’association était aussi l’âme de toutes les grèves qui ont récemment agité les ateliers de Seraing et les chantiers du Borinage ; elle a fait, en un mot, de cette contrée opulente l’un de ses sièges de prédilection. Comment s’y est-on défendu contre cette suite d’agressions où des industries moins robustes eussent succombé ? Par le fusil et le mousqueton, toutes les fois que les voies de fait ont été bien caractérisées. C’est un argument expéditif. Ayant à choisir entre ces divers moyens de combattre le mal, l’Allemagne a préféré un préservatif ; elle a fermé ses portes. L’association avait introduit quelques groupes dans le pays de Bade et le Wurtemberg ; ils ont été dissous par mesure de police ; la Bavière et la Prusse se sont garanties du contact par un cordon sanitaire. Chacun de ces états a usé pour la circonstance des pouvoirs et des moyens qu’il avait à sa disposition.

Ainsi, partout ailleurs qu’en Suisse, c’est l’autorité constituée qui a fait justice des excès commis ou prévenu les excès près de se commettre, assuré le respect de la loi et la sûreté des personnes ; en cela, cette autorité agissait par délégation, par voie de consigne et médiatement pour ainsi dire, sans avoir la pleine conscience ni ressentir l’indignation directe des actes qu’elle réprimait ou empêchait. En Suisse au contraire, c’est une force libre, une force volontaire qui s’est prononcée ; c’est la population elle-même qui, voyant sa dignité en jeu, son repos troublé, ses rues envahies, a payé résolument de sa personne et dit aux tapageurs : « Assez de ce jeu, ou vous aurez affaire à nous ; ce n’est pas vos camarades seulement, c’est nous que vous insultez. Il y a honte pour tous dans un pays civilisé à souffrir que des individus fassent ainsi le métier d’exécuteurs, et donnent au public le spectacle des avanies qu’ils infligent. » Que dans l’un et l’autre cas le fait matériel soit le même, nul doute à cela ; mais combien îles conséquences morales diffèrent ! Dans la répression par une force soldée, il n’y a qu’un fait susceptible de revanche ; dans une cité qui se lève pour